[La Déesse Blanche] A pour Ailm

A pour Ailm

Les Mythes Celtes, la Déesse Blanche par Robert Graves. Pages 218-220.

Le premier arbre est l’épicéa (note de Fleur : le traducteur a commis une erreur ici, il est question de sapin blanc ou sapin commun dans le texte d’origine), arbre femelle dont les feuilles ressemblent étroitement à celles de l’if, et consacré en Grèce à Artémis la Déesse-Lune qui préside à l’enfantement. C’est le principal arbre de la naissance dans l’Europe septentrionale. On le rencontre fréquemment dans le contexte des nativités. A Orkney, selon La Vie Sociale en Écosse de Roger, mère et enfant sont « bénis » aussitôt après la délivrance avec une torche de sapin enflammée promenée par trois fois autour du lit. Il est remarquable que Ailm, en vieil irlandais, serve également à désigner le palmier qui n’est pourtant pas un arbre natif d’Irlande quoiqu’il vienne bien dans la propriété de mon grand-père dans le comté de Kerry. Le palmier, arbre de la naissance pour l’Égypte, la Babylonie, l’Arabie et la Phénicie, a donné son nom de phoenix (« sanglant ») à la Phénicie qui, dans les temps anciens, occupa les rivages de toute la Méditerranée orientale, et au phénix qui revit et renaît dans un palmier. Son rattachement poétique à la naissance vient de ce que la mer est la mère universelle et que le palmier prospère au bord de la mer dans un sol sablonneux lourdement chargé de sel ; sans sel à ses racines, un jeune palmier demeure rabougri. Le palmier est l’arbre de la vie dans l’histoire babylonienne du Jardin d’Éden. Son nom hébreu est « tamar ». Tamar était l’équivalent hébraïque de la grande déesse Istar ou Astharoth ; d’ailleurs les Arabes adoraient le palmier de Nerjran tel une déesse ; ils le recouvraient chaque année de vêtements et de bijoux féminins. L’Apollon de Délos et le Dusarès des Nabatéens étaient tous les deux nés sous un palmier. En irlandais moderne « ailm » en est venu à designer l’orme sous l’influence des classiques Latins, car, en Italie, l’orme (ulmus), qui n’est pas originaire des iles Britanniques, servait de tuteur à la jeune vigne et devint ainsi l’alma mater du dieu du vin. Cette interdépendance de la vigne et de l’orme fut sanctifiée par une référence qu’y fit le Pasteur d’Hermas, l’un des tout premiers livres chrétiens admis comme révélés.

Mais l’épicéa, qui affectionne lui aussi les sols sablonneux et les brises marines, est l’arbre de la naissance depuis aussi longtemps que le palmier. Il est l’arbre sous lequel naquit le dieu de Byblos, prototype de l’Osiris pré dynastique d’Égypte. Le mot grec pour désigner le sapin est elate et le récit de Pausanias sur l’Arcadien Élatos est intéressant. Il était « le père d’Ischys l’amant de la mère d’Asclépios et de Cyllen qui donna son nom au mont Cyllène jusque là sans nom » et qui devient le lieu de naissance d’Hermès. D’autres mythologues font de Cyllen la « nymphe Cyllène », femme de Pelasgus fondateur de la race pélasge. Il semble qu’originellement Elatos fut Elate, « l’Elevé », au nom transféré d’Artémis à son arbre entrelacé à du lierre, durant les réjouissances dionysiennes) et que Cyllène (Cylle Ana), « la Reine Courbe », fut un autre de ses titres. Le sapin de la déesse de la naissance est semblablement transféré à son fils dans le mythe d’Attis fils de Nana l’Adonis phrygien. On dit qu’il aurait été transformé en sapin par la déesse Cybèle qui l’aimait ; elle venait de la découvrir mortellement blessé par un verrat envoyé par Zeus (ou par un roi phrygien qu’il aurait émasculé et qui l’aurait émasculé à son tour.)

Le cheval de Troie, offrande de paix faite à la déesse Athéna, originellement la même Déesse Blanche, était construit en épicéa et ce fut un cheval, car il fallait un animal consacré à la Lune.

Dans le musée de Newcastle-on-Tyne se trouve un autel britannico romain dédié aux « mères* » par un certain Julius Victor. On peut y discerner un triangle reposant sur sa base et contenant une pomme de pin. Bien que le nom de Druntia, la déesse gauloise du sapin ne contienne aucune référence à son arbre propre, il fait d’elle la « reine des druides », et par là la reine du calendrier des arbres dans sa totalité.

La place de l’épicéa est au premier jour de l’année, celui de la naissance du Divin Enfant, le jour en surnombre du Solstice d’Hiver. Treize semaines séparent chaque place consécutive des arbres-voyelles ; la dernière de chaque série était une semaine de mort et exigeait des sacrifices sanglants.

* A Arles, en Provence, le culte de la déesse sous la forme d’une triade ou d’une pentade a survécu sous un déguisement chrétien jusqu’à nos jours à travers les fêtes célébrées du 24 au 28 mai, milieu du mois de l’aubépin ou de la chasteté ; mais à présent ses fidèles sont surtout les gitans. Sous la forme de triade elle est devenue « les Trois Maries de Provence » ou « les trois Maries de la Mer » ; sous la forme de pentade elle s’est adjointe Marthe et une servante apocryphe du nom de Sara. Il semble là d’autant de christianisations de figures en bas-reliefs de tombeaux préchrétiens du cimetière des Alyscamps, à Arles, dans lesquels on pouvait la triade ou la pentade représentée sur un même panneau, et au-dessous, sur un autre, l’âme ressuscitée, la scène s’interprétant comme représentant la résurrection de Lazare. Jusqu’à l’époque de Dante, les enterrements se firent « à l’ancienne » dans ce cimetière : le cadavre avait été couché dans une barque, muni d’argent qu’on appelait « la drue de mourtilage » et on l’avait laissé flotter au fil du Rhône jusqu’aux Alyscamps. Ce nom d’Alyscamps a été expliqué comme venant de Campi Elysiani, « Champs Élysées » ; mais il est probable qu’Alys fut l’ancien nom de la déesse ; il se pourrait même que l’adjectif homérique « élyséen » (le E est long) vienne de son nom. On retrouve également Alys sous la forme de alise ou alis dans plusieurs noms de villes françaises. Le Dictionnaire Etymologique de Dauzat, à l’article alis, alise, signifiant « crique abritée », fait dériver le mot du gaulois alissia, peut-être préceltique, figurant dans de nombreux noms de villes et ayant peut-être engendré le mot espagnol aliso désignant l’aune. Du point de vue mythique, c’est excellent, car c’est par des bosquets d’aune qu’Ogygie, l’île sépulcrale de Calypso, était protégée des vents. Alys, Alis ou Halys est le nom du plus grand fleuve d’Asie Mineure ; il lui fut donné à une époque préhellénique comme le prouve l’existence de la ville d’Alliassus (-assus est une terminaison crétoise) construite sur ses rives avant qu’il n’oblique vers le nord pour se déverser dans le sud de la Mer Noire. Il y a encore deux fleuves Hales, un en Ionie, l’autre en Lucanie, qui ont pu être ainsi nommés d’après le mot désignant la même déesse. L’un des noms pour désigner l’aune en allemand est else, correspondant au scandinave elle. Le danois Ellerkon désigne le roi des aunes, Bran, qui emporte les enfants dans l’autre monde ; mais elle signifie également « elfe » qui pourrait bien être synonyme de clethrad ou fée de l’aune. Dans la ballade bien connue de Goethe inspirée des Stimmen der Völeker de Herder, Ellerkong est correctement traduit par Erlkönig, le substantif allemand habituel pour désigner l’aune étant erle.