Courir avec Artémis, par Mut Danu

Note de Fleur de Sureau : Ce texte, intitulé Running with Artemis, est signé Mut Danu. Je l’avais gardé précieusement dans les brouillons du blog, avec l’envie de le traduire un jour pour le coven (Mut Danu étant notre aînée dans la tradition et nous apprécions tous son travail). À l’époque, on pouvait encore le retrouver en ligne, mais il ne semble plus disponible aujourd’hui. Je me suis permise de le traduire, de l’adapter et de le publier ici (en espérant ne pas manquer de délicatesse ce faisant). Pour ce mois d’études, mes recherches m’ont amené à lire beaucoup sur Artémis, la mythologie et l’histoire de la Grèce antique. Ce texte résonne bien plus clairement aujourd’hui pour moi et c’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de le traduire. J’ai notamment ressenti un certain… désenchantement (?) en découvrant les enjeux politiques et sociaux qui se cachaient derrière les chœurs de jeunes filles dans les temples d’Artémis.

Courir avec Artémis*

« Libre !
Dans la verdure, dans la clairière joyeuse, bondissant telle une biche qui ne craint aucun chasseur.
Là, je danserai sans que nul homme ne me regarde
Là, je trouverai la sagesse inscrite dans les ombres de la forêt.
Existe-t-il un don plus grand que de ressentir une telle joie ? »

Chant d’une Ménade, extrait des « Bacchantes », d’Euripide**.

Tenter de me rapprocher d’Artémis, c’était parfois comme courir après la Déesse, les bottes alourdies par la boue. Elle se tenait là, loin devant, belle, puissante, et pourtant je ne parvenais pas à la distinguer nettement. Tant d’obstacles sur la route ! En explorant la mythologie, j’ai découvert des millénaires de messages brouillés, issus de nombreuses cultures : certaines l’aimaient tant qu’elles voulurent l’intégrer à leur culte local, à leur propre déesse. Et puis il y avait les autres. Les écrits classiques étaient imprégnés de la culture souvent misogyne de la Grèce antique ; puis vinrent la lecture déformée et l’idéologie patriarcale de l’ère chrétienne. Pour vraiment la voir, il fallait lire entre les lignes, et faire appel à beaucoup d’intuition.

Voici ce que me souffle mon intuition… Qu’il me faut gratter la boue de mes bottes, ou mieux encore les abandonner et courir pieds nus, trouver une manière de courir avec Artémis… mère du sauvage, des bêtes indomptées, du toi sauvage et du moi sauvage. Comment les Amazones couraient-elles aux côtés d’Artémis ? Quelle était la résonance de leurs chants, quels rythmes battaient leurs tambours lorsqu’elles l’honoraient ?

Si seulement les chants, les rites et les arts des Amazones nous avaient été transmis avec soin… S’ils avaient survécu aux flammes, aux guerres et aux caprices des modes, quel trésor ce serait pour nous qui vivons aujourd’hui !
Ce qui a traversé le temps, ce sont des mythes et des légendes, souvent rédigés par d’autres. De grands temples ont traversé les âges jusqu’à ce que l’histoire en soit consignée par écrit, et aujourd’hui, nous pouvons les relire à travers le regard des femmes***. Je pleure la perte des récits à la première personne, mais une note d’espoir demeure : les légendes nous sont parvenues – incomplètes, certes, mais nous pouvons les reconstituer et lire entre les lignes. Les chercheurs peuvent réévaluer les théories anciennes.
Et nous, nous pouvons ressentir, plonger au plus profond de notre mémoire ancestrale et de notre intuition pour y trouver des réponses : communiquer à travers le temps avec nos mères antiques, dans les temples.

Bien avant que nous ne lui ayons donné un nom, elle était déjà la Mère Sauvage. Au Paléolithique et au début du Néolithique, tout était sauvage, et nous étions en plein cœur de cette sauvagerie. La distinction entre le « sauvage » et le « civilisé » n’existait pas encore. Nous n’avions pas encore commencé à domestiquer les animaux ni les plantes, et nous, enfants humains, n’étions pas séparés de ses autres enfants. À cette époque, nous savions que la Mère donnait tout et reprenait tout : elle offrait nourriture, animaux et plantes, puis reprenait après. La chasse n’était pas un massacre de masse, mais la réception d’un don, celui de la Mère et de l’esprit de l’animal, qui, après la mort, retournait vivre auprès d’elle. Le rituel est né comme un réenactement du cercle vie-mort-vie. La vie était circulaire, saisonnière, à l’image de la Mère.

Puis les choses se sont accélérées, et le flux du Temps s’est mis à couler dans une seule direction : en ligne droite, bien sûr… Les arts créatifs sacrés, comme la poterie et le tissage, ont commencé à se fabriquer en masse ; le commerce est né, suivi des échanges et des migrations. Peuples, tribus et leurs animaux domestiques se sont mis en marche, découvrant de nouveaux territoires, luttant pour les ressources et repoussant les populations autochtones. Tout cela a commencé il y a plus de 5 000 ans, et bien que nos techniques modernes soient plus destructrices et que nous soyons des milliards de plus, le patriarcat n’a en réalité inventé aucune nouvelle méthode de conquête. (Il ne fait que détruire plus rapidement.)

Et pourtant ! Au cœur de ce nouveau monde de vacarme et de confusion, Artémis continuait de répandre sa promesse d’abondance, comme le lait débordant des seins d’une mère. Il semble que les premières mentions du culte d’Artémis soient celles qui parlent des Amazones, qui auraient apporté son culte de la Macédoine et de la Thrace jusqu’à Éphèse. L’image qui nous est parvenue de cette facette de la déesse est celle d’Artémis d’Éphèse, Polymastos, la Déesse aux multiples seins. Elle incarne la puissance nourricière et généreuse de la nature, déesse du lait et du miel. Son corps était couvert de seins et de reliefs sculptés représentant des animaux. Ses pieds se rejoignaient en une posture pointue, qui semble faire écho à notre ancienne Grande Déesse des cavernes, dont les pieds effilés pouvaient s’enfoncer dans la terre meuble.

Les Arcadiens ont érigé des temples dédiés à Artémis partout dans cette région de la Grèce antique. Ils la percevaient autrement : comme la jeune Maîtresse indépendante des Animaux, et c’est cette image que son nom évoque encore pour la plupart d’entre nous. C’est à ce moment que les couches patriarcales commencent à recouvrir cette image. Une grande partie de nos représentations mentales d’Artémis a été façonnée par Homère dans l’Iliade, par Callimaque et par Nonnos. Des couches supplémentaires ont ensuite été ajoutées par les peintres de cour européens du XVIIIe siècle, qui ont réalisé des fresques murales et des œuvres d’art séculières à grande échelle inspirées des mythes grecs et romains redécouverts.

Nos ancêtres l’ont réellement portée avec eux à travers tout le bassin méditerranéen. La Grande Déesse Artémis était vénérée depuis les rivages de l’Anatolie (l’actuelle Turquie) jusqu’à la côte ibérique (l’actuelle Espagne), au nord jusqu’en Thrace (Bulgarie), au sud jusqu’en Afrique du Nord. Partout où elle allait, son nom reflétait les peuples qui l’adoraient. Elle devenait alors Diane, Artémis-Britomartis-Dame des Filets, Artémis Ephesia, Artémis Némétona, Titanis Phoibe, et tant d’autres.

Au fil des millénaires, elle a été transformée par des cultures davantage intéressées par un Dieu-père tout-puissant que par une Déesse-mère. Artémis fut alors considérée comme une enfant de Zeus, son droit à conserver sa virginité lui étant accordé par lui. Sa passion était la chasse plutôt que la protection de la faune, et sa silhouette était décrite comme “grande et masculine”. Les prêtres de ses temples exigeaient des sacrifices sanglants. Elle était grande et redoutée, et les gens la percevaient selon le contexte de leur époque, leurs besoins politiques et leurs tendances religieuses.

Ainsi se déroule l’expérience humaine de la Déesse. La Grande Déesse du Paléolithique et du Néolithique, dans l’image comme dans l’esprit, a été remodelée et soumise par le raz-de-marée de la culture patriarcale. Pourtant, elle est toujours restée, Dame des Choses Sauvages, trop puissante pour disparaître, trop sauvage pour être domestiquée. C’est cette Artémis Sauvage, éternellement libre, Déesse des Amazones, Mère du Lait et du Miel, qui peut nous apprendre ce que cela signifie d’être une Femme Sauvage… ou un Homme Sauvage.

On peut considérer qu’Artémis n’influence que trois sphères de nos vies : la fin, le milieu et le commencement ! Artémis était connue pour offrir une fin sacrée à la vie, et les femmes en particulier l’invoquaient pour qu’elle décoche ses flèches, leur permettant de bénéficier d’une “mort rapide”. En tant que sage-femme divine, les nouveau-nés étaient sous sa protection. Mais ce qui paraît le plus fascinant, c’est de pouvoir connaître cette déesse dans l’espace entre le commencement et la fin.

Les animaux sauvages et féroces devenaient dociles en présence d’Artémis. La nature est son élément, et elle est sauvage, aussi les animaux percevaient-ils ce lien. Nous avons nous aussi une nature sauvage. Lorsque nous nous retrouvons coincés dans un travail oppressant, ou lorsque nous nous rebellons contre un mode de vie trop rigide ou des attentes trop strictes à notre égard, c’est notre moi sauvage et naturel qui frappe contre les barreaux de sa cage, ou qui ronge sa propre patte pour tenter de s’échapper. Il peut être nécessaire de changer de travail, de relation ou de mode de vie pour plier les barreaux suffisamment et se faufiler dehors. Il se peut que tu doives renoncer à quelque chose de précieux, mais c’est possible. Cela demande du courage et une écoute attentive de ton animal intérieur. Une fois libéré·e, ton esprit peut courir, s’étendre, explorer, et tu auras la capacité d’apprivoiser n’importe quel environnement, qu’il s’agisse d’un désert ou d’une jungle urbaine.

Il existe une sauvagerie en chaque femme, qui peut et doit être explorée… As-tu entendu parler des Ménades ?

Méprisées, considérées comme des « folles », des « hystériques »… eh bien, évidemment qu’elles l’étaient ! Ne devenons-nous pas tous fous à force de nous contraindre à être trop civilisés, trop longtemps ?
Longtemps reléguées au domaine du mythe, les Ménades étaient des femmes bien réelles, vivantes, qui avaient compris que la « démocratie » de la Grèce classique n’était en réalité qu’une bonne affaire pour les hommes blancs et libres. Les femmes partirent. Pour de courtes périodes, ou peut-être pour toujours, elles quittèrent la « civilisation » et allèrent vivre dans les lieux sauvages. Artémis était leur déesse, Dionysos, leur dieu hermaphrodite. En sécurité dans les forêts montagneuses, les femmes dansaient de manière extatique, avec la joie de la vraie liberté. La rumeur se répandit dans toute la campagne : qu’aucun homme n’ose troubler ces femmes, sous peine d’être mis en pièces ! Des groupes de femmes se formèrent dans toute la Grèce antique et furent mentionnés par les auteurs de l’époque, parfois favorablement, souvent non. Elles furent laissées en paix.

Les femmes doivent puiser dans cette sagesse ancienne de nos aïeules qui vénéraient Artémis. Nous avons besoin de temps rien que pour nous ! À aucune époque de l’histoire les femmes n’ont été aussi isolées qu’aujourd’hui. Autrefois, même dans la mémoire vivante, les femmes passaient beaucoup plus de temps ensemble. Dans l’histoire américaine, il y avait les cercles de couture, de patchwork, de cuisine collective et bien d’autres moments communautaires pour partager nos histoires. En Europe, chaque village avait un lavoir commun, où les femmes frottaient les vêtements et résolvaient en même temps de nombreux problèmes. Depuis l’ère industrielle, lorsque les femmes ont massivement rejoint les usines et les bureaux, on a ressenti le besoin de contrôler leur travail. Mais être ensemble au travail ne signifie pas nécessairement que nous partagions quelque chose de positif. Être ensemble en dehors du travail est suspect. Cela rend les maris et les petits amis nerveux. Mais être ensemble pour le plaisir, c’est exactement ce dont nous avons besoin. Un peu de liberté, et nous aussi commencerons à danser de manière extatique. Qu’ils transpirent un bon coup !

Il y avait, et il y a, des hommes aimant les Déesses qui ont suivi Artémis. Les hommes de la Grèce antique ne pouvaient imaginer que les femmes faisaient autre chose que s’adonner à un sexe débridé hors mariage… alors ils ont inventé les “satyres”. Mais il est probable que les femmes n’étaient pas dans les bois à faire des orgies avec des satyres : elles voulaient simplement qu’on les LAISSE TRANQUILLES. Pourtant, l’intuition suggère qu’il y avait aussi des hommes vivant dans les lieux sauvages. Des hommes qui ne voulaient pas vivre comme des esclaves, qui n’appartenaient pas à la classe privilégiée par la démocratie, et qui n’étaient pas non plus des ermites ayant rejeté la civilisation pour la nature sauvage. Les hommes féministes vivant dans notre monde moderne peuvent parfois rencontrer plus de difficultés que les femmes. Comme Dionysos, ce sont des Fils de la Mère. Ils sentent en eux la présence du Féminin Divin. La culture dominante ne soutient certainement pas les hommes qui ont quoi que ce soit à voir avec le Féminin sacré. Des traîtres !… Et même les femmes féministes ne savent pas toujours quoi penser de ces hommes. Peut-on leur faire confiance ?

Nous devrions ! Nous devrions leur faire confiance et les encourager à chercher la Déesse si c’est là que leur cœur les mène. C’est lorsque nous courons tous avec la Déesse, sauvages, libres, que nous goûtons à la joie. (Même si ce n’est que pour quelques heures le week-end !) Quand nous dansons pieds nus et courons avec abandon, nous pouvons puiser dans cette énergie joyeuse et l’insuffler dans notre vie quotidienne.

Maintenant, cesse de courir.
Ce que tu cherches est ici.
Écoute.
Écoute ton cœur qui bat à toute vitesse,
écoute vraiment.

Artémis murmure :

« Si tu veux venir avec moi alors…
dépasse le faire,
et entre dans le Vivant. » »

« Si tu veux venir avec moi alors…
Cesse de t’égarer dans les gestes, les routines ou le tumulte ;
et fais l’expérience sacrée de la Vie. »

Mut Danu, grande prêtresse Apple Branch, une tradition dianique. Solstice d’hiver 2007.

Notes :

* Courir avec Artémis est une allusion aux Héraia.  https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9raia

** Je n’ai trouvé ce texte qu’à un seul endroit sur le net : https://moongoddess14.tripod.com/id4.html

*** La phrase « Great Temples survived into recorded history, and now herstory » contient un jeu de mots subtil entre “history” et “herstory”.  “History” signifie l’histoire telle qu’on l’a traditionnellement écrite, souvent centrée sur les hommes. “Herstory” est un terme inventé pour mettre en avant l’histoire des femmes, ou l’histoire racontée du point de vue féminin. Donc, l’idée est que les grands temples ont survécu jusqu’à l’époque où l’histoire a été consignée par écrit (recorded history), le principe de l’histoire, et qu’aujourd’hui, nous pouvons les reconsidérer à travers une perspective féminine.

Du quartz aux esprits des profondeurs, les kobolds

Puisque ce mois-ci, dans notre tradition, le quartz est à l’honneur, j’ai commencé quelques recherches qui m’ont conduite… aux kobolde ! C’est irrésistible, il me faut donc en parler.

Quartz, zwerg et kobold : une étymologie enchantée

Le mot quartz proviendrait de l’allemand quarz, utilisé depuis le Moyen Âge dans les régions minières. Il est introduit en français au XVIIIe siècle, d’abord sous la forme quertz, puis quartz.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l’origine de ce mot. Parmi celles-ci, nous trouvons le mot querg, une ancienne forme de zwerg, c’est-à-dire « nain » en allemand, en référence aux créatures des mines souterraines appelées Kobolde. Vous noterez que ces êtres ou génies ont également inspiré le nom du cobalt, mais j’y reviendrai.

Esprit des montagnes, kobolde & nains

Dans les traditions germaniques, le kobold et le nain ont progressivement été assimilés. Cette assimilation s’explique par le fait qu’ils partagent le même habitat.

À l’origine, le kobold est un esprit domestique ou souterrain, parfois bienveillant, parfois malicieux, lié à la maison ou aux mines. Le nain est plutôt une créature mythologique associée aux profondeurs de la terre, aux métaux et aux savoirs secrets. Mais leur habitat commun (les pierres, les grottes, les galeries) a favorisé un glissement entre les deux figures.

Dès le XVIe siècle, les kobolde sont décrits comme des « mineurs » (surnaturels), tout comme les nains. Ils deviennent des esprits des mines, gardiens ou perturbateurs des filons.

Cette assimilation reflète une évolution des croyances : les distinctions entre les types d’esprits s’estompent, et les figures se fondent dans un imaginaire commun où la pierre est vivante, habitée, et parfois capricieuse.

Le kobold, génie domestique ou esprit des profondeurs

Le kobold est une figure du folklore germanique, généralement décrite comme un esprit domestique ou souterrain. Le mot Kobold dérive probablement de kobe (pièce, chambre) et walten (régner), ce qui en ferait littéralement un « maître de la maison » ou pour le dire autrement un esprit tutélaire du foyer. À l’origine, il ne désigne pas un être vivant, mais une figure sculptée en bois ou en cire, à laquelle on faisait des offrandes de nourriture à certaines périodes de l’année.

Explorons maintenant les deux facettes principales de cette créature ambivalente.

Génie domestique

Dans les foyers, le kobold est perçu comme un esprit protecteur, capable d’apporter prospérité et ordre, à condition d’être respecté. Il peut aussi se montrer malicieux, voire destructeur, si on le néglige ou l’offense. Les récits populaires le décrivent souvent comme invisible, bien qu’il puisse se manifester par des bruits, des déplacements d’objets ou des apparitions fugaces.

Kobold des mines

Dans les régions minières, le kobold devient un esprit souterrain, gardien des trésors enfouis et des filons.

La nature du kobold est double. Il peut être bienveillant, aidant les mineurs à trouver des filons ou à éviter les dangers. Mais il peut aussi se montrer malicieux, provoquant des accidents, des éboulements ou des suffocations, souvent interprétés comme des punitions pour avoir manqué de respect ou transgressé des règles implicites.

Les mineurs, notamment des montagnes du Harz, en Allemagne, le tenaient pour responsable de la disparition de minerais précieux ou de la transformation de gisements en substances inutiles. Ils utilisaient le terme Kobold-Erz, c’est-à-dire « minerai du kobold », pour désigner certains minerais qui semblaient prometteurs, mais qui ne produisaient pas de métal utile à l’extraction. Ces minerais contenaient en réalité du cobalt, souvent associé à de l’arsenic et du soufre, ce qui les rendait toxiques et inutilisables avec les techniques de l’époque. Ce mythe est à l’origine du nom du cobalt.

Le kobold est ainsi lié à la croyance selon laquelle les esprits des montagnes pouvaient « voler » le minerai ou le rendre invisible, « transformer » des pierres précieuses en quartz sans valeur ou cacher les minerais aux mineurs. Les mineurs l’accusaient d’avoir ensorcelé la roche. Ce mythe trouve un fondement géologique : la teneur en minerai d’une roche diminue souvent lorsque la proportion de quartz augmente.

Esprit des pierres

Dans la mythologie germanique, les pierres sont considérées comme des lieux habités par des esprits : nains, elfes, kobolde et génies tutélaires y résident ou y veillent. Elles sont perçues comme des seuils vers l’invisible, parfois sacrées, parfois dangereuses.

Un jour que le roi Sveigdir rentre d’une beuverie, il aperçoit un nain assis au pied d’une pierre, qui l’invite à le suivre ; tous deux entrent dans la pierre, et le roi ne revint jamais plus.

Extrait de Démons et génies du terroir, Claude Lecouteux.

L’apparence du kobold

Les kobolde sont la version allemande des knockers domestiques (britanniques). Il ne sont pas particulièrement serviables. Ils sont plutôt enclins aux farces et aux espiègleries. Ils chasseraient volontiers les mineurs s’ils menaçaient de détruire leur ouvrage. Pourtant, il leur arrive parfois d’être étonnamment utiles. Illustration : Brian Froud.

Je ne sais pas vous, mais moi j’ai très envie de savoir à quoi ressemblerait un kobold, n’ayant jamais eu la chance ou la malchance d’en croiser, dans ce monde ou le suivant. Après quelques recherches, il serait de petite taille, son habitat serait donc souterrain ou domestique. Son  comportement serait ambivalent, comme nous l’avons vu. Il pourrait se rendre invisible et il serait métamorphe. Parfois entendu, mais rarement vu. Dans certaines œuvres modernes, le kobold est parfois représenté avec une houppelande sombre, un bonnet rouge ou une lanterne, voire une bougie sur le bonnet, comme un veilleur des galeries. Ces représentations sont savoureuses. Le travail de Brian Froud et celui de Jean-Baptiste Monge sont particulièrement remarquables.

Du culte à la fiction

La figure du kobold illustre le passage des croyances païennes vers le récit populaire : d’abord associé à un culte domestique, il devient personnage de fabliau, relégué à la fiction. Pourtant, sa présence dans les contes et légendes témoigne de la persistance d’une culture préchrétienne. Aujourd’hui, cette figure perdure à travers des œuvres contemporaines, où elle continue d’incarner le mystère des profondeurs et l’ambivalence des esprits anciens.

Eh ! Rien d’étonnant, finalement, à ce que le quartz m’ait menée aux kobolde.

***

Illustrations :

Bibliographie :

  • Bächtold-Stäubli, Hanns. Kobold, in Handwörterbuch des deutschen Aberglaubens (HDA). Étude approfondie sur les origines, fonctions et variantes régionales du kobold dans le folklore germanique.
  • Grimm, Jacob. Deutsche Mythologie. Göttingen : Dieterich, 1835. Ouvrage de référence sur les croyances populaires et les figures mythologiques germaniques.
  • Lecouteux, Claude. Démons et génies du terroir au Moyen Âge. Paris : Imago, 1995.
  • Lecouteux, Claude. Les nains et les elfes au Moyen Âge. Paris : Imago, 2002.
  • Lecouteux, Claude. Les Esprits de la maison. Paris : Imago, 2005.
  • Mannhardt, Wilhelm. Wald- und Feldkulte. Untersuchungen zur Geschichte der deutschen Mythologie. Berlin : Borntraeger, 1875.

Ressources en ligne :

Les fées (poilues) protectrices du verger : Awd Goggie & Gosseberry Wife

Quoi de plus amusant que de découvrir de nouvelles créatures féeriques, surtout quand elles sont assez différentes des fées victoriennes anthropomorphes, mignonnes et un peu mièvres ? Je crois en avoir croisé une dans mon jardin récemment, comme vous pouvez le voir sur la photo 😉 Je vous présente donc ces deux fées poilues… auxquelles il vaut mieux éviter de se frotter !

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Les gardiennes invisibles du verger : Awd Goggie et Gooseberry Wife

Dans la campagne anglaise, à l’abri des regards indiscrets et des récoltes précoces, deux figures folkloriques veillaient silencieusement sur les vergers et les haies fruitières : Awd Goggie et la Femme-Groseille (Gooseberry Wife). Utilisées depuis longtemps pour effrayer les enfants et protéger les fruits non mûrs, ces créatures appartiennent à une catégorie fantastique appelée nursery bogies — des êtres dont le rôle est à la fois éducatif et protecteur.

Awd Goggie, originaire du Yorkshire de l’Est, prenait la forme d’une énorme chenille velue (assez grande pour dévorer les enfants désobéissants). Tapie dans les bois ou cachée derrière les pommiers, elle surveillait ceux qui tentaient de cueillir les fruits avant leur maturité. Dotée du pouvoir de devenir invisible, elle incarnait une menace à la fois tangible et mystérieuse — souvent évoquée par les adultes sur un ton grave :

« Ne touche pas à ces pommes, ou Awd Goggie te dévorera. »

À l’autre bout de l’Angleterre, sur l’île de Wight, la Femme-Groseille remplissait un rôle similaire. Elle apparaissait aussi sous la forme d’une chenille géante, rôdant près des buissons de groseilles, toujours attentive aux petites mains curieuses. Là encore, la peur servait de barrière protectrice entre les enfants et les cultures.

Malgré leurs différences géographiques, ces deux créatures partagent des caractéristiques communes :

  • Une apparence volontairement inquiétante, destinée à marquer les esprits
  • Un rôle de gardiennes du cycle naturel de maturation
  • Une fonction de régulation sociale, mêlant dissuasion et imagination

À travers elles, émerge une forme de pédagogie fondée sur le respect de la nature et de ses rythmes. Plutôt que d’imposer des règles sèches, les communautés rurales transmettaient des valeurs et des avertissements par le biais de récits et d’enchantements. Ces bogies inspiraient la peur, certes — mais elles enseignaient aussi que chaque être vivant doit suivre son propre rythme, et que récolter trop tôt peut avoir des conséquences.

Bibliographie/Sources :

  • Bane, T. (2013). Encyclopedia of Fairies in World Folklore and Mythology. McFarland & Company.
  • Briggs, K. M. (1971). Abbey Lubbers, Banshees, and Boggarts: An Irregular Compendium of Fairy Lore. Pantheon Books.
  • Simpson, J., & Roud, S. (2000). Dictionary of English Folklore. Oxford University Press.
  • Nursery Bogie- The Awd Goggie : https://www.geocities.ws/myste_realm/awd.html/

Méditation Faery pour l’Hiver, par Mut Danu [Tree Mothers]

Cette méditation est extraite du chapitre 27 : Idho, l’if,  de The Tree Mothers par Mut Danu, notre ainée. Ce texte a été traduit par Memnoch pour le magazine Lune Bleue, il apparaît sous le titre : Méditation Faery pour l’Hiver, Visualisation guidée pour le Solstice d’Hiver. 

Méditation : descendre dans le monde-d’en-bas : le passage de l’If

Pour mieux comprendre l’énergie de l’Esprit de l’If, cette méditation ou voyage devra être effectuée à l’aube, juste avant le lever du soleil.

Prévoyez :

  • une bougie allumée
  • et des allumettes.

Éteignez toutes les lumières autour de vous et asseyez-vous confortablement.

Centrez-vous en vous concentrant sur la flamme de la bougie.

Lorsque vous serez prêt, soufflez la chandelle.

Pour entrer dans le monde de la Faery, l’accès se fait par le Nord. De votre espace de méditation, tournez-vous dans cette direction.

Levez votre main et faites le geste d’ouvrir une porte.

Dans votre esprit, visualisez et ressentez vos représentations du Nord : regardez par la porte ouverte le ciel clair d’hiver, sentez le vent froid qui vous enveloppe, voyez le paysage noir, obscur se détacher dans la nuit.

Observez-le, couvert de fourrés d’herbes mortes et distinguez un sentier qui s’en détache.

Restez derrière la porte pendant que votre vision se forme et, lorsque vous serez prêt, passez simplement la porte.

Vous êtes à l’extérieur à l’heure où la nuit et le jour se rencontrent.

Vous sentez la bise froide sur votre visage.

La lune est noire mais le ciel est recouvert d’étoiles qui scintillent.

De votre place, vous pouvez distinguer le paysage qui se détache de la nuit.

Le chemin à vos pieds semble émettre son propre rayonnement devenant de plus en plus faible au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans l’obscurité.

Suivez ce chemin.

Ouvrez vos sens à votre environnement.

Sentez les picotements du vent contre votre corps et le sentier irrégulier sous vos pieds. Le vent se renforce au fur et à mesure de votre progression, et vous tenez votre manteau serré autour de vous.

Sentez le vent qui vous pousse.

Au détour du sentier, soudain, un arbre s’élance vers le ciel.

Une haie persistante pousse le long du sentier, les feuilles des plantes se rejoignent pour former un tunnel obscur.

Levez la main pour toucher la branche la plus proche et sentez ses aiguilles fines.

C’est un if centenaire, l’Arbre de la Mort. Faites une pause et réfléchissez à ce que la mort signifie pour vous : la peur, la perte, la douleur, la tristesse.

Vous n’êtes peut-être pas prêt à entrer dans ce tunnel.

Mais le vent change soudain de direction et vous pousse par-derrière. En trébuchant, vous faites un pas à l’intérieur du tunnel.

Une fois à l’intérieur de cet abri naturel, le vent froid n’a plus d’emprise sur vous. Sous la protection de l’if, vous êtes calme, à l’abri des menaces et de la peur. Vous pouvez alors vous avancer dans le tunnel.

Plus loin, le sentier lumineux plonge dans le paysage, ou peut-être en dessous.

Les branches de l’if forment toujours un tunnel solide au-dessus de votre tête.

Les racines s’échappent de la terre et frôlent votre manteau.

Le sentier tourne lentement, comme une large spirale. Devant vous, une vieille femme est assise sur un gros rocher.

Elle porte une grande robe sombre à capuche recouverte de symboles lumineux. Vous en reconnaissez certains, mais pas tous.

Sur ses genoux, un bol noir en terre, rempli de volutes de brouillard.

Au fond de vous, vous avez reconnu l’Esprit de l’If.

Elle est en train de fixer le bol, et ne donne pas d’indice  quant à votre présence. Vous vous asseyez à côté d’elle sur la pierre.

Concentrez-vous, afin de bien ressentir où vous êtes.

Sentez le froid glacial qui s’échappe de la pierre où vous êtes assis et qui émane de son corps à elle.

La femme à la capuche commence alors à remuer le contenu du bol et vous plongez votre regard dans les volutes en oubliant tout le reste.

Au fond du bol, vous revoyez des souvenirs, des scènes de votre vie, des gens, des endroits, des choses qui ont ou ont eu de l’importance pour vous.

Laissez ces images grandir et plongez dans vos souvenirs jusqu’à en faire partie, à les revivre. Vous êtes en train de devenir le contenu du bol.

À présent, lentement, un par un, vous commencez à dissoudre ces événements et images.

Vous ne les rejetez pas nécessairement, bien qu’il y en ait certains que vous désirez oublier.

Allez au-delà de votre ressenti, au-delà de la joie et la tristesse. Regardez ces événements objectivement, comme s’ils étaient ceux d’une autre personne.

Continuez à mélanger ces images de votre passé dans le bol lumineux, jusqu’à ce qu’elles se dissolvent.

Regardez de nouveau dans le bol et vous y voyez, non plus votre passé, mais un liquide luisant de possibilités, une spirale d’étoiles qui se détache du ciel obscur.

Levez les yeux vers la Dame de l’If. Elle tient toujours son bol sur ses genoux, mais maintenant sa capuche est baissée et vous pouvez voir un visage sans âge qui rayonne de l’intérieur.

Assis à côté d’elle, vous ressentez maintenant de la chaleur s’échapper d’elle, et de l’espace autour de vous.

Votre corps baigne dans cette chaleur. Sentez cette chaleur. Sentez le sang qui circule dans vos veines, sentez la terre à vos pieds qui pulse comme un cœur qui bat.

La Dame de l’If se lève alors et écarte les bras.

Elle rejette sa cape en arrière et une lumière dorée s’échappe de ses doigts et de sa chevelure.

Elle rayonne, en connexion avec toute chose, en connexion avec la vie. Puis elle disparaît, laissant l’air ambiant scintiller de lumière.

Au-dessus de votre tête, de la lumière pénètre au travers des branches de l’if comme un millier de minuscules étoiles.

Vous soulevez alors une branche qui vous bloquait le passage et seul, vous vous dirigez vers la sortie du tunnel, vers la lumière du soleil levant.

Prenez un instant pour sentir le soleil. Écartez les bras et respirez profondément. Revenez doucement dans le présent et dans votre espace de méditation.

Ouvrez les yeux, et s’il fait toujours sombre, rallumez la bougie.

Prenez votre journal et écrivez-y ce qui vous passe par la tête : vos sentiments, vos émotions, vos observations. Concentrez-vous sur ce dont vous vous souvenez de votre rencontre avec la Dame de l’If, les sons ou les mots que vous avez entendus, les images que vous avez vues, les idées, la connaissance et les messages que vous avez reçus. Vous pouvez inventer une multitude de questions directement liées à votre situation personnelle.

***

Voici un exemple de questions que vous pouvez utiliser comme point de départ dans vos réflexions de votre journal :

  • Lorsque (être aimé) est décédé, j’ai…
  • Lorsque j’ai perdu (mon emploi, ma relation amoureuse…), la première chose que j’ai faite est…
  • Lorsque j’aurai terminé (l’école, mon projet …), je
    pourrai ensuite…
  • Lorsque je pense à ma propre mort, je ressens….
  • Mes sentiments sur l’après-mort sont…

Démythifier la Déesse Blanche : une lecture critique de Robert Graves

Dans notre tradition, La Déesse blanche de Robert Graves est une source d’inspiration poétique et symbolique, non un manuel historique. Nous reconnaissons la puissance évocatrice de son œuvre, tout en gardant à l’esprit ses limites méthodologiques. C’est dans cette optique que nous partageons ici le regard critique de James R. Lewis, extrait de son encyclopédie Witchcraft Today. Ce texte ne cherche pas à invalider la richesse intuitive de Graves, mais à rappeler que son approche relève avant tout du mythe littéraire, plutôt que de la reconstitution historique. Notre voie se dessine à travers le langage des symboles, la sagesse des figures archétypales et la lumière discrète des vérités intérieures.

Par James R. Lewis, extrait de son livre Witchcraft Today An Encyclopedia of Wiccan and Neopagan Traditions. Traduction par Fleur de Sureau

Une source majeure de l’engouement actuel pour une période matriarcale ancienne dans l’histoire est La Déesse blanche de Robert Graves. En effet, la plupart des écrits féministes sur le sujet tentent de soutenir les arguments de Graves. Cependant, les preuves et les raisonnements qu’il utilise dans le livre ne conduisent tout simplement pas aux conclusions qu’il en tire. En réalité, la démarche de Graves relève entièrement d’un plaidoyer particulier : il met en avant les éléments qui favorisent l’idée d’une ancienne religion de la Déesse et tente de minimiser ou d’expliquer les preuves contraires. Par conséquent, bien qu’environ la moitié des informations dans La Déesse blanche soient valables, l’autre moitié est déformée par les efforts de Graves pour faire entrer ces données dans sa théorie préconçue. Ainsi, La Déesse blanche ne peut pas être utilisée pour reconstruire fidèlement les religions anciennes, quelles qu’elles soient.

Objectivement, La Déesse blanche, tout comme les tentatives de Graves pour reconstituer l’histoire du christianisme, est une compilation d’idées proposées par des chercheurs du XIXe et du début du XXe siècle. Ces théories ont été mises à l’épreuve, jugées inadéquates, puis abandonnées. Certains écrivains féministes insinuent (et parfois déclarent explicitement) que ces chercheurs ont rejeté les idées « féministes » parce qu’ils auraient, consciemment ou non, supprimé la véritable importance des femmes dans l’histoire.

Graves a fait de son mieux pour cacher qu’il s’appuyait sur des théories déjà rejetées par la majorité des chercheurs traditionnels. Il est vrai qu’au moment de la rédaction de La Déesse blanche, dans les années 1940, il existait encore une faible possibilité que la culture pré-hellénique en Grèce ait été matriarcale, matrilocale et matrilinéaire, comme Graves l’imaginait. Mais, au cours des trois décennies suivantes, l’archéologie moderne en Méditerranée et les disciplines alliées ont considérablement progressé pour démontrer que la Grèce, entre 2500 et 1500 av. J.-C., était un avant-poste de la culture mésopotamienne. Cette culture partageait les langues, l’architecture, l’économie et, sans doute, les structures sociales des sociétés découvertes à Ugarit et dans d’autres sites autour de la Méditerranée. À la lumière de ces données, il faut supposer que les Grecs avaient le même type de croyances polythéistes que les habitants de ces autres sites, les déesses étaient certes importantes, mais rien n’indique qu’une seule déesse ait été la divinité dominante.

Quiconque connaît les travaux de Georges Dumézil pourrait remarquer que Graves avait raison de percevoir l’existence d’un schéma tripartite dans les mythes des déesses, mais il se trompait en pensant que ce schéma était antérieur aux Indo-Européens. Une déesse triple faisait clairement partie du panthéon indo-européen.

De plus, la théorie selon laquelle une période merveilleuse, matriarcale et agricole en Europe aurait été détruite par d’affreux envahisseurs patriarcaux parlant des langues indo-européennes au cours du deuxième millénaire av. J.-C. est aujourd’hui abandonnée. L’article de Sir Colin Renfrew, The Origins of Indo-European Languages, publié dans le numéro d’octobre 1989 de Scientific American, rapporte que le consensus parmi les préhistoriens est que la langue parlée par les populations ayant répandu l’agriculture en Europe entre 8000 et 2000 av. J.-C. était très probablement indo-européenne. Donc, si les Indo-Européens ont apporté l’agriculture en Europe, les pré-Indo-Européens ne pouvaient pas être des agriculteurs.

Les sorcières pensent généralement, à tort, que La Déesse blanche fournit des preuves indépendantes de l’existence de cultes sorciers « murrayiens » au Moyen Âge. Peu de références à [Margaret] Murray apparaissaient dans la première édition de 1948, qui était beaucoup plus courte. Enfin, il faut noter que Graves n’était pas une autorité indépendante, mais faisait partie du cercle restreint autour de [Gerald B.] Gardner ; Graves était un bon ami d’Idries Shah, qui aurait même été un initié du coven londonien.

Lectures complémentaires :

  • Graves, Robert. “An Appointment for Candlemas.” Magazine of Fantasy and Science Fiction (février 1957). L’existence de cette nouvelle montre que Graves faisait partie de la campagne de mythification de Gardner dès 1956.
  • The White Goddess: A Historical Grammar of Poetic Myth, 3d ed. New York: Farrar, Straus and Giroux, 1968 [1948].
  • Hutton, Ronald. The Pagan Religions of the Ancient British Isles: Their Nature and Legacy. Cambridge, MA: Blackwell, 1991.
  • Renfrew, Colin. “The Origins of Indo-European Languages.” Scientific American (October 1989): 106–114.

NdT : A lire également, un article intéressant : Une réévaluation de la liste des caractères de l’alphabet des Oghams« 

À propos du calendrier lunaire des arbres

Au sein de notre tradition, l’Apple Branch, nous suivons un calendrier singulier. Certains le trouvent inspirant, d’autres restent sceptiques, et c’est bien normal. Avant de proposer quelques pistes de travail pour celles et ceux que ça intéresse, il me semble important de poser quelques précisions… qu’on pourra ensuite laisser derrière nous.

Le calendrier celtique des arbres que je prépare chaque année pour le Cercle Faerie Faith a été rebaptisé « Calendrier lunaire des arbres ». Il reste néanmoins basé sur le même assemblage symbolique :

  • les mois lunaires,
  • les oghams
  • et les arbres selon la tradition de l’Apple Branch.

Cette structure provient du travail poétique de Robert Graves, dans La Déesse Blanche. Il est bon de rappeler que son approche est avant tout littéraire, et que notre tradition ne s’inscrit pas dans une démarche reconstructionniste païenne. Nous sommes des sorcières issues d’une tradition initiatique et notre lignée a été fondée par Bendis dans les années 2000.

Développons certains points.

📖 Robert Graves — La Déesse Blanche, pierre d’inspiration

Ce livre est une référence fondamentale dans notre tradition Apple Branch. Si vous souhaitez comprendre l’origine des éléments celtisants de notre système, ainsi que certaines correspondances, il est incontournable.

⚠️ Cela dit, il faut l’aborder avec discernement : Graves ne propose pas une vérité historique mais une vision poétique. Son œuvre est profondément controversée, notamment par son approche intuitive et ses reconstructions mythiques souvent non fondées. Ce qui nous intéresse ici, c’est sa puissance symbolique et sa capacité à tisser des liens entre nature, mystère, et inspiration.

🌿 Une tradition contemporaine, pas reconstructionniste

Notre système initiatique s’inspire du calendrier des arbres décrit dans La Déesse Blanche, mais il le réinvente dans le cadre d’un syncrétisme sorcier celtisant moderne. Nous ne prétendons pas recréer une tradition païenne antique : Nous sommes des sorcières issues d’une tradition initiatique.

Notre lignée hérite notamment :

  •  de la McFarland Tradition,
  • de la Faerie Faith,
  • et aussi, même si cela me concerne peu personnellement, de la Dianic Wicca de Zsuzsanna Budapest, dans laquelle Bendis a été initiée avant de fonder l’Apple Branch. Ce que nous faisons fonctionne, non pas parce que c’est historiquement exact, mais parce que c’est vivant, inspiré, et incarné. Et c’est bien tout ce qui compte.

🌘 Pour conclure

Notre héritage puise dans plusieurs courants : la tradition McFarland et la Faerie Faith, qui ont semé les bases de notre calendrier. La tradition de Budapest, que je cite ici par souci d’honnêteté, bien que je ne partage ni ses opinions ni son approche.

Ce calendrier n’est ni historique, ni véritablement païen, mais il est profondément symbolique. Il s’est développé avec McFarland et Mark Roberts dans les années 70 et continue d’évoluer dans notre pratique contemporaine.

L’article suivant, de Linda Kerr, traduit par Fleur de Sureau, vous donnera des pistes de travail pour utiliser ce calendrier selon la tradition Faerie Faith :

FAERIE FAITH 101: Qu’est-ce que le Calendrier Celtique des Arbres ?

 

Sire Gauvain et le Chevalier vert

Sire Gauvain et le Chevalier Vert est un chef-d’œuvre de la littérature médiévale anglaise. Le texte original, rédigé vers la fin du XIVᵉ siècle, met en scène Gauvain, chevalier de la Table ronde, confronté à un défi étrange lancé par un mystérieux chevalier entièrement vêtu de vert.

Sans vous spoilez, si vous ne connaissez pas l’histoire, sachez que les motifs majeurs sont :

  • L’honneur et la parole donnée ;
  • La tentation et la vertu ;
  • Le rapport entre nature sauvage et civilisation courtoise ;
  • Les symboles celtiques et païens, comme la couleur verte, la ceinture magique, et la Chapelle Verte…

La lecture et l’étude de « Sire Gauvain et le Chevalier vert » sont profondément pertinentes dans le cadre de la lunaison de Tinne, car ce texte incarne les thèmes centraux du cycle du houx :

  • la maîtrise du pouvoir,
  • le feu intérieur,
  • et l’épreuve initiatique.

La figure du Chevalier vert, souvent associée au Roi Houx, représente la force sauvage, persistante et énigmatique de l’hiver. Son défi lancé à Gauvain est une épreuve de courage, d’honneur et de résilience, reflet des énergies contenues et transformatrices que Tinne canalise à travers le feu de la forge et la continuité du cycle des saisons.

Ce texte illustre également la dualité entre impulsion et retenue, tout comme les feuilles du houx, lisses et piquantes, évoquent la nécessité de tempérer sa force avec sagesse.

Il existe des traductions en français de Sir Gawain and the Green Knight :

  • Sire Gauvain et le chevalier vert. Poème anglais du XIVe siècle. Traduction avec le texte en regard, par Emile Pons (1948). Il s’agit d’une des premières traductions complètes en français, avec le texte original en regard.
  • Sire Gauvin et le chevalier vert. Traduction moderne (collection 10/18), par Juliette Dor (1993). Elle est appréciée pour sa fidélité au texte médiéval et son accessibilité.

Sir Gawain and the Green Knight fut traduit en anglais moderne par J.R.R. Tolkien. Sa traduction est remarquable par sa fidélité au texte médiéval. Elle respecte la structure rythmique et le lexique du poème original, allant jusqu’à intégrer un petit glossaire pour en faciliter la compréhension.

  • L’article Homme elfique, peuple elfique de Leo Carruthers explore en profondeur la traduction anglaise moderne de Sir Gawain and the Green Knight réalisée par J.R.R. Tolkien, en la replaçant dans une perspective littéraire et mythologique accessible aux lecteurs francophones.
  • Le site Palimpsestes propose une analyse approfondie des traductions modernes, notamment celles de Bernard O’Donoghue et Simon Armitage, et leur impact sur la réception contemporaine du texte. Sir Gawain and the Green Knight Traduction et survie d’une œuvre.

McFarland, une société déshumanisante

Par Margot Adler. Extrait de Drawing down the moon. Traduction et adaptation : Fleur de Sureau

Quelques personnes s’inquiétaient de l’idée que la technologie moderne entraîne un lourd tribut en matière de désensibilisation. « Nous sommes engourdis par une surcharge technologique », écrivait l’auteur païen Allen Greenfield, qui reconnaissait que la technologie possédait « de nombreux dons » mais estimait que notre « culture à haute intensité énergétique était déshumanisante et aliénante ».

La prêtresse Morgan McFarland, de Dallas, réfléchissait :

« Notre civilisation nous a dupés en nous faisant accepter comme normales, ou naturelles, des choses qui ne le sont pas. Nous n’avons plus que des éclairs de lucidité, et nous ne produisons plus de véritables individus, mais des stéréotypes fabriqués à la chaîne.

McFarland exprimait aussi sa crainte que la télévision détruise le « royaume secret » des jeux de rue et des rituels ludiques des enfants, « le seul endroit où le véritable rituel existe encore ». Elle me confiait qu’elle avait souvent l’impression qu’il était presque impossible d’avoir une vision claire des choses.

Je suis à tel point immergée dans un mode de vie rempli de commodités technologiques modernes que je ne sais plus vraiment ce dont j’ai besoin, ni ce dont je pourrais me passer, ce dont les païens ont réellement besoin, et ce dont nous pourrions nous passer.

Puis, alors que notre conversation se poursuivait jusqu’aux premières heures du matin, cette prêtresse à la tête de trois covens florissants à Dallas, une femme qui m’a semblé être l’une des dirigeantes les plus lucides que j’ai rencontrées au cours de mes voyages, m’a confié à quel point elle était consciente des contradictions dans sa propre vie :

L’Art [sorcier] est un mode de vie, dit-elle doucement, mais cela ne signifie pas que nous le vivons pleinement… que je le vis. C’est un idéal vers lequel je tends.

Morgan McFarland à propos de la politique et de la sorcellerie

Par Margot Adler. Extrait de Drawing down the moon. Traduction et adaptation : Fleur de Sureau

Morgan McFarland, féministe et sorcière, m’a dit qu’elle avait, pendant des années, séparé sa vie politique féministe de sa vie sorcière. Elle m’a dit aussi que la première fois où elle a fait tomber le masque et a révélé à ses amies féministes qu’elle était une sorcière, elle l’a fait parce qu’elle voulait leur transmettre une perspective plus large que celle de la simple action politique.

« Je sentais qu’elles se tenaient près de l’abysse spirituel et étaient en quête de quelque chose. De plus, je recherchais des femmes fortes, équilibrées, avec une identité propre, qui soient capables de perpétuer quelque chose de beau et vital pour la planète. Au sein de ma propre tradition, ces sont les femmes qui préservent les connaissances traditionnelles et qui les transmettent les unes aux autres. J’ai commencé à voir une résurgence de femmes retournant vers la Déesse, qui se perçoivent comme ses filles et qui ont découvert le paganisme par elles-mêmes, dans un contexte très féministe. Le féminisme implique égalité, auto-identification et force individuelle pour les femmes. Le paganisme a été, à toutes fins pratiques, une spiritualité anti-establishment. Les féministes et les païens sont issus de la même source sans s’en rendre compte et avancent vers le même but, toujours sans s’en rendre compte, et les deux courants commencent désormais à s’entremêler. »