Je ne sais plus si je l’ai déjà évoqué ici, mais au pire je me répéterai. C’est l’âge qui me fait radoter ;o). Au solstice d’été, j’ai choisi de reprendre à zéro mon cheminement au sein de la tradition Faerie Faith. Me voici donc à nouveau étudiante : je suis le programme d’enseignements et, parallèlement, j’effectue des recherches à chaque lunaison sur différents thèmes. En réalité, c’est une pratique que nous poursuivons année après année, pour une raison particulière.
Pour ce mois lunaire, j’ai envie de partager un extrait de mon compte-rendu qui est consacré à la divinité ou figure archétypale de la lunaison. Cette fois-ci, il s’agit de Ceridwen. J’ai particulièrement apprécié de faire des liens entre ce que j’ai appris au cours de mon cursus de ces dernières semaines et mes recherches sur elle : cela ouvre une compréhension plus profonde et vivante !
Fleur de Sureau.
Illustration : « Ceridwen: The Welsh Enchantress of Inspiration, Knowledge, and Transformation » par anetteprs
Ceridwen : magicienne, devineresse & sorcière
Ceridwen est une figure féminine majeure de la tradition galloise. Elle est décrite comme une experte et savante : en magie, en divination et en sorcellerie. Elle réside au bord du lac Bala aux côtés de son époux Tegid Foel. Ses enfants sont Morfran, associé à la laideur, et Creirwy, symbole de beauté.
Sa légende est celle du chaudron, dont le breuvage magique devait conférer l’inspiration prophétique et la sagesse à Morvran. Lors de sa préparation, elle demande de l’aide à Gwion Bach. C’est ce dernier qui absorbe les 3 gouttes magiques, par ruse. Gwion s’enfuit devant la fureur de Ceridwen, bien décidée à le tuer. Après une suite de transformations et de poursuites, elle finit par le dévorer. Neuf mois plus tard, elle met au monde Taliesin, futur grand barde.
Ceridwen est une figure des forces de renaissance, de transformation et d’inspiration, reliant la magie du chaudron à la métamorphose spirituelle.
Ceridwen, ses noms et variantes
Le nom Ceridwen, parfois appelée Cyrridfen. apparaît sous de nombreuses formes dans les manuscrits médiévaux gallois (Kyrridven, Cerituen, Kerrituen, Kerituen, etc.).
- La terminaison en –fen (issue de ben = « femme ») est la plus fréquente.
- Le double rr est courant dans les formes anciennes, alors que l’usage moderne préfère un seul r.
- Les différences entre C et K relèvent surtout de conventions d’écriture pour le son dur /k/.
Évolution historique :
- Les premières attestations datent du XIIIᵉ siècle (Livre noir de Carmarthen, Livre de Taliesin, Livre rouge de Hergest).
- Plus tard, au XVIᵉ siècle, Elis Gruffydd utilise Ceridwen ou Caridwen dans le récit de Gwion Bach devenu Taliesin.
- Charlotte Guest popularise la forme Caridwen dans sa traduction du Mabinogion.
Sens *possibles* du nom :
Selon Marged Haycock :
- Dérivé de cwrr (« courbé, anguleux ») → « femme au dos voûté », stéréotype de sorcière (proposition ancienne, notamment défendue par Ifor Williams).
- De cyr (lié à crynu, « trembler ») → figure qui fait frissonner.
- De crid/craid → « passionnée, puissante ».
- De ŷd (« blé, grain ») → déesse du blé, analogue à Cérès.
- Par analogie avec sa fille Creirwy (« croyance ») → Credidfen, « femme digne de foi ».
La Blanche-Aimée
D’après Philippe Jouët et A. J. Raude, Ceridwen, en vieux-celtique *Karito-winda, signifie « Blanche-Aimée ». De *karita = aimée.
Contexte mythologique
Famille
Tegid Voel
Son époux est le géant Tegid Voel (ou Foel). Son surnom signifie « le Chauve » ou « taciturne chauve ». Il est présenté dans l’Histoire de Taliesin comme l’époux de Ceridwen et le père de Morfran (Avangddu) et de Creirwy. Ses terres se trouvent près d’un lac, souvent identifié au Llyn Tegid (lac Bala).
Son nom porte une double résonance :
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- La calvitie (« Voel » = chauve), qui peut suggérer une figure dépouillée, nue de tout ornement.
- Le silence (rappel du latin tacitus, « qui garde le silence » ou « dont on ne parle pas »), ce qui l’associe à une présence discrète, effacée, presque invisible dans le récit.
Ce sont deux qualités négatives de l’Autre Monde nocturne.
Dans l’histoire de Taliesin, Tegid apparaît comme un personnage secondaire mais symboliquement marqué : un homme silencieux, effacé, dont l’identité se définit par son absence de parole et par son lien au lac, tandis que c’est Ceridwen qui agit et rayonne dans l’histoire. Cela pourrait évoquer la nuit et la lune. Ensemble, ils ont deux enfants : un fils, Morfran, et une fille, Creirwy.
Morvran eil Tegid
Morvran (ou Morfran) est aussi surnommé Afangddu ou Avangddu à cause de sa couleur sombre. Décrit comme « très horrible de forme, d’aspect et de comportement », il incarne une figure repoussante. Dans son dictionnaire, Phillipe Jouët précise Afangddu (Y Vagddu), qui signifie littéralement « monstre noir aquatique ». Attesté en vieux breton sous les formes abac-, amachdu (roche marine). Lié au mot avank (« castor » en breton) et abac en irlandais.
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- Son rôle dans la légende : Morfran espérait recevoir le breuvage de sagesse et de poésie préparé par sa mère Ceridwen. Mais il est évincé par Gwion Bach, qui goûte à la préparation et devient Taliesin.
- Symbolisme : Morfran/Afangddu représente le mauvais compétiteur, celui qui ne peut accéder au « Feu des eaux » (la puissance inspiratrice du chaudron). Il incarne l’échec, l’exclusion, incapable d’accéder à la lumière poétique, et la part sombre de l’héritage de Ceridwen.
Creirwy
Creirwy, variantes Crairw et Creirfyw, aussi appelée Llywy, passe pour être la plus belle fille de son temps. Dans les triades galloises, elle figure parmi les trois Belles-Jeunes-Filles (Gwenriein) de l’Île de Bretagne. Elle fut aimée de Garwy Hir. Selon Markale et Persigoult, son nom signifierait : « le joyau ». Selon Marged Haycock, comme on l’a vu plus haut, « croyance ». Mais selon I. Williams, plus vraisemblablement, son nom signifierait « Vivante-Aimée ».
Gwion Bach / Taliesin
Je le place ici puisque Ceridwen est somme toute la mère du poète Taliesin !
Le nom Gwion peut être compris à partir d’une ancienne racine indo-européenne. Le linguiste E. Hamp le rattache à la racine *weys- qui signifie « couler », utilisée pour parler des eaux fluviales. À partir de cette racine, il propose une forme reconstruite *uis-onos avec le suffixe de sublimation *-on-os qui sert à créer une idée de substance ou d’essence.
Ainsi, Gwion pourrait se traduire par quelque chose comme :
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- « Le petit poison/breuvage archétypal ».
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Cette image repose sur une tradition ancienne : le verbe poétique, en particulier celui de la satire, est comme un fluide virulent. On retrouve cette idée dans le poème Prif Cyfarch du Book of Taliesin, où le barde affirme que son verbe agit comme une force brûlante, comparable au le feu de la parole :
« Je suis ancien, je suis nouveau, je suis Gwion… ivresse des ivres… expert en joutes »
« Wyf hen wyf newid wyf gwion… medut medwon… Wyf syw amrysson. »
Le récit fondamental : Ceridwen, Gwion Bach et la naissance de Taliesin
- L’acte magique : Puissante en magie, sorcellerie et divination, elle prépare pendant un an et un jour une boisson faite d’herbes choisies, destinée à donner le don de prophétie à son fils, Morfan.
- L’accident : Mais c’est Gwion Bach qui, par ruse, ingère trois gouttes magiques de ce breuvage.
- La poursuite et les métamorphoses : Ceridwen le poursuit alors à travers plusieurs métamorphoses animales dans les 3 espaces : la terre, la mer et le ciel.
- La renaissance : Elle finit par l’avaler sous la forme d’un grain de blé, puis met au monde 9 mois plus tard Taliesin. Elle l’abandonne ensuite aux flots, qui le conduiront quarante ans plus tard dans la pêcherie de Gwyddno.
Symbolisme de Ceridwen
La nuit, l’obscur et la lune
Ceridwen est associée à la nuit, à ses puissances cachées, et ainsi, probablement à la Lune.
La lune, comprise comme une figure féminine, se reconnaît dans l’image de Ceridwen :
- Elle est liée à la nuit et à ses mystères.
- Ses métamorphoses (lune croissante, pleine lune, lune décroissante) expriment sa capacité d’adaptation à tous les espaces.
- Elle incarne une puissance magique féminine, spécialisée dans les charmes et les enchantements.
- Elle entretient un rapport avec l’au-delà (l’eschatologie) et avec l’inondation, symbole de débordement et de transformation.
- Elle devient le nouveau nom de l’enfant-poète, Taliesin qui signifie « Front-d’Argent » ou « Radiant Brow », figure lumineuse et créatrice, qui se présente comme le double positif de Morvran, lié aux ténèbres.
On notera que dans le poème Kadeir Kerrituen (Book of Taliesin), elle affirme que ses lumières brillent à minuit et à l’aube.
« À minuit et au petit matin brillent mes lumières »
Ceridwen, gardienne de l’inspiration
« À minuit et au petit matin brillent mes lumières » évoque sans nul doute la lumière de l’inspiration poétique, qui apparaît dans les moments liminaux comme la nuit profonde et l’aube. Dans la tradition bardique, ces heures sont considérées comme des seuils propices à l’apparition d’une inspiration divine ou magique.
Elle mentionne aussi son « siège, son chaudron et ses lois », affirmant sa compétence à la cour de Dôn, aux côtés de figures comme Euronwy.
- La chaire symbolise le siège de l’autorité bardique,
- le chaudron est le chaudron d’inspiration, source de savoir et de poésie,
- et les statuts représentent les lois ou règles de l’art bardique.
Ceridwen se présente ainsi comme maîtresse de l’inspiration et de la connaissance.
Certains poèmes moyen-gallois associent à Ceridwen et à l’inspiration un terme mystérieux, ogyrven, dont le sens reste obscur mais qui semble lié à la puissance créatrice et inspiratrice qu’elle incarne.
Le chaudron de sagesse et d’inspiration
La symbolique du chaudron dans la tradition celtique :
Dans la tradition celtique, le chaudron est à la fois un objet domestique, rituel et un symbole de prestige. Réservé aux élites, il incarne l’abondance, la fertilité et le pouvoir de résurrection. Dans les récits mythologiques, il est souvent associé au souverain de l’Autre Monde, dispensateur de festins, et aux salles de banquet irlandaises dotées de chaudrons inépuisables.
De nombreux exemplaires célèbres jalonnent les légendes : le chaudron du Dagda parmi les trésors des Tuatha Dé Danann, celui de Gwigawd en Bretagne, ou encore le chaudron de régénération de Branwen dans le Mabinogi. Et évidemment, Ceridwen elle-même possédait un chaudron d’inspiration et de sagesse.
Ces récits, enrichis par la découverte archéologique du chaudron de Gundestrup (découvert au Danemark en 1891 et qui remonte probablement au Ier siècle av. J.-C.) ont conduit plusieurs commentateurs à rapprocher le chaudron celtique du Graal arthurien, matrice de transformation et de révélation.
Le chaudron de Ceridwen : peir Kerritwen
L’awen est le mot brittonique qui désigne l’inspiration poétique sacrée. Elle est imaginée comme un souffle vital qui traverse le poète, mais parfois aussi comme un fluide magique, contenu par exemple dans le chaudron de la magicienne Ceridwen, peir Kerritwen.
Dans son Dictionary of Celtic Mythology, James MacKillop indique que, dans la tradition galloise, le chaudron de Ceridwen porte le nom d’Amen (avec un m).
Métamorphose, initiation et doctrine de l’âme
Métamorphose ≠ métempsycose
L’un des chapitres du livre Les Druides, de Guyonvarc’h et Leroux, traite de la doctrine de l’immortalité de l’âme et de ses dérivés : la métempsycose et la métamorphose.
À partir des témoignages des auteurs antiques et des récits insulaires irlandais et gallois, Guyonvarc’h et Leroux y démontrent que l’immortalité était considérée comme le destin commun de l’âme humaine, tandis que la métempsycose n’apparaissait que dans quelques cas mythiques exceptionnels, et que les métamorphoses relevaient surtout de pratiques magiques ou symboliques.
Ils prennent notamment l’exemple de Ceridwen et de sa poursuite de Gwion Bach pour illustrer non pas une transmigration de l’âme, mais la pratique des métamorphoses rituelles : des transformations provisoires qui expriment la multiplicité des formes de l’être sans jamais rompre la continuité de l’identité.
La poursuite et les métamorphoses
Après avoir bu les trois gouttes magiques destinées à Morvran, Gwion Bach subit une série de transformations : il devient lièvre, poisson, oiseau, grain de blé et d’autres formes, tandis que Ceridwen le poursuit sous différentes apparences.
Dans le poème, ces métamorphoses sont précédées de réflexions sur l’histoire du monde. Elles sont décrites dans un poème du Livre de Taliesin (Poèmes 19–23, souvent cités d’après l’incipit Angar Kyfyndawt). Elles illustrent la fuite, la survie et l’acquisition progressive du savoir. Chaque forme assumée représente une expérience directe du monde et prépare Gwion à sa renaissance sous le nom de Taliesin, poète inspiré et détenteur de la sagesse.
Un motif comparable se retrouve dans un poème irlandais attribué au poète légendaire Amergin, dans lequel il se présente sous diverses formes et forces de la nature :
« Je suis le vent sur la mer, la vague de l’abîme, le taureau des sept batailles, l’aigle sur le rocher, une larme du soleil… ».
Dans les traditions galloise et irlandaise, ces transformations successives, animales ou naturelles, expriment non seulement la survie miraculeuse de figures très anciennes, telles que Fintan ou les Deux Porchers, mais symbolisent également l’acquisition par le poète d’une connaissance universelle et d’une expérience multiforme.
Fonction initiatique
Ceridwen, l’initiatrice
- Figure de l’Autre Monde : Ceridwen est une magicienne, gardienne du chaudron de savoir, elle incarne la puissance féminine créatrice et destructrice.
- Sa fonction : elle poursuit Gwion pour récupérer les trois gouttes de science qu’il a volées. Sa chasse est une épreuve initiatique où elle déploie la maîtrise des métamorphoses.
- Son rôle symbolique : elle est l’agent de la transformation, celle qui pousse l’initié à traverser les formes pour atteindre un état supérieur.
Gwion Bach/Taliesin
- L’initié : il reçoit par hasard les 3 gouttes de savoir, ce qui le met en mouvement vers une destinée nouvelle.
- Les métamorphoses : lièvre, poisson, oiseau, grain de froment… chacune est une étape de fuite et de survie, mais aussi une traversée des règnes du vivant.
- La renaissance : avalé par Ceridwen sous forme de grain, il renaît comme Taliesin, le poète inspiré, détenteur du savoir.
- Sens : Gwion est un exemple de métamorphose initiatique qui conduit à une nouvelle identité spirituelle.
- Changement d’état : Gwion devient Taliesin, ce qui est plus qu’une métamorphose : une véritable renaissance initiatique, qui l’élève au rang de poète inspiré, figure prophétique.
Approches comparées et parallèles
Ceridwen est souvent décrite comme une sorcière ou une vieille femme peu aimable. On peut rapprocher cette image d’autres figures féminines de la tradition celtique, comme :
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- Cailleach Bheirre (la vieille femme des montagnes en Écosse),
- Caitlin,
- Sean-Bhean Bhocht (la « pauvre vieille » en Irlande).
Dans la tradition bretonne, le récit de Koadalan présente aussi des parallèles intéressants. Koadalan, qui signifie « Bois‑Alan », est le héros d’un conte. Son récit reprend, sous des formes variées, le thème de la poursuite que l’on retrouve dans la tradition galloise autour de Gwion Bach‑Taliesin.
Sources
Sources primaires :
- Book of Taliesin. Middle Welsh manuscript Peniarth MS 2. Première moitié du XIVᵉ siècle.
- Red Book of Hergest (Llyfr Coch Hergest), Oxford, Jesus College, MS 111. Fin XIVᵉ siècle (après 1382).
- Trioedd Ynys Prydein: The Triads of the Island of Britain. Manuscrits médiévaux gallois (divers, datés XIIIᵉ–XIVᵉ siècles).
Autres sources :
- Guyonvarc’h, Christian-J. et Françoise Le Roux. Les Druides. Paris : Payot, 2001.
- Jouët, Philippe. Dictionnaire de la mythologie et de la religion celtique. Paris : CNRS Éditions, 2012.
- Lambert, Pierre-Yves, trad., prés. et notes. Les Quatre branches du Mabinogi et autres contes gallois. Paris : Gallimard, collection « L’Aube des peuples », 1993.
- MacKillop, James. Dictionary of Celtic Mythology. Oxford : Oxford University Press, 1998.
Sources complémentaires en ligne
- GregHill.cymru, « Ceridwen », 12 décembre 2022. Cet article cite notamment : Marged Haycock ‘Cadair Ceridwen’ yn Cyfoeth y Testun 148-> (Gwasg Prifysgol Cymru, 2003) et Ifor Williams Chwedl Taliesin (Gwasg Prifysgol Cymru, 1957).
- Amis des Études Celtiques. http://amisdesetudesceltiques.eu/
- Société des Amis des Études Celtiques. Bulletin n° 81. [en ligne], AEC . Disponible sur : http://amisdesetudesceltiques.eu/documents/Bulletin%20n%C2%B0%2081.pdf
- Argedour.bzh, « Santez Tigrid Laimée », note sur la déesse Keridwenn (Karitowinda), mère du poète Taliesin. https://www.argedour.bzh/santez-tigrid-laimee/
- Raude, Alan Joseph (1923-2017), linguiste, historien et hagiographe, références sur Keridwenn / Taliesin.
- Wikipédia, « Ceridwen ». https://en.wikipedia.org/wiki/Ceridwen
- Wikipédia, « Creirwy ». https://en.wikipedia.org/wiki/Creirwy
- BehindTheName.com, “Ceridwen,” consulted 6 December 2025, https://www.behindthename.com/name/ceridwen
