Courir avec Artémis, par Mut Danu

Note de Fleur de Sureau : Ce texte, intitulé Running with Artemis, est signé Mut Danu. Je l’avais gardé précieusement dans les brouillons du blog, avec l’envie de le traduire un jour pour le coven (Mut Danu étant notre aînée dans la tradition et nous apprécions tous son travail). À l’époque, on pouvait encore le retrouver en ligne, mais il ne semble plus disponible aujourd’hui. Je me suis permise de le traduire, de l’adapter et de le publier ici (en espérant ne pas manquer de délicatesse ce faisant). Pour ce mois d’études, mes recherches m’ont amené à lire beaucoup sur Artémis, la mythologie et l’histoire de la Grèce antique. Ce texte résonne bien plus clairement aujourd’hui pour moi et c’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de le traduire. J’ai notamment ressenti un certain… désenchantement (?) en découvrant les enjeux politiques et sociaux qui se cachaient derrière les chœurs de jeunes filles dans les temples d’Artémis.

Courir avec Artémis*

« Libre !
Dans la verdure, dans la clairière joyeuse, bondissant telle une biche qui ne craint aucun chasseur.
Là, je danserai sans que nul homme ne me regarde
Là, je trouverai la sagesse inscrite dans les ombres de la forêt.
Existe-t-il un don plus grand que de ressentir une telle joie ? »

Chant d’une Ménade, extrait des « Bacchantes », d’Euripide**.

Tenter de me rapprocher d’Artémis, c’était parfois comme courir après la Déesse, les bottes alourdies par la boue. Elle se tenait là, loin devant, belle, puissante, et pourtant je ne parvenais pas à la distinguer nettement. Tant d’obstacles sur la route ! En explorant la mythologie, j’ai découvert des millénaires de messages brouillés, issus de nombreuses cultures : certaines l’aimaient tant qu’elles voulurent l’intégrer à leur culte local, à leur propre déesse. Et puis il y avait les autres. Les écrits classiques étaient imprégnés de la culture souvent misogyne de la Grèce antique ; puis vinrent la lecture déformée et l’idéologie patriarcale de l’ère chrétienne. Pour vraiment la voir, il fallait lire entre les lignes, et faire appel à beaucoup d’intuition.

Voici ce que me souffle mon intuition… Qu’il me faut gratter la boue de mes bottes, ou mieux encore les abandonner et courir pieds nus, trouver une manière de courir avec Artémis… mère du sauvage, des bêtes indomptées, du toi sauvage et du moi sauvage. Comment les Amazones couraient-elles aux côtés d’Artémis ? Quelle était la résonance de leurs chants, quels rythmes battaient leurs tambours lorsqu’elles l’honoraient ?

Si seulement les chants, les rites et les arts des Amazones nous avaient été transmis avec soin… S’ils avaient survécu aux flammes, aux guerres et aux caprices des modes, quel trésor ce serait pour nous qui vivons aujourd’hui !
Ce qui a traversé le temps, ce sont des mythes et des légendes, souvent rédigés par d’autres. De grands temples ont traversé les âges jusqu’à ce que l’histoire en soit consignée par écrit, et aujourd’hui, nous pouvons les relire à travers le regard des femmes***. Je pleure la perte des récits à la première personne, mais une note d’espoir demeure : les légendes nous sont parvenues – incomplètes, certes, mais nous pouvons les reconstituer et lire entre les lignes. Les chercheurs peuvent réévaluer les théories anciennes.
Et nous, nous pouvons ressentir, plonger au plus profond de notre mémoire ancestrale et de notre intuition pour y trouver des réponses : communiquer à travers le temps avec nos mères antiques, dans les temples.

Bien avant que nous ne lui ayons donné un nom, elle était déjà la Mère Sauvage. Au Paléolithique et au début du Néolithique, tout était sauvage, et nous étions en plein cœur de cette sauvagerie. La distinction entre le « sauvage » et le « civilisé » n’existait pas encore. Nous n’avions pas encore commencé à domestiquer les animaux ni les plantes, et nous, enfants humains, n’étions pas séparés de ses autres enfants. À cette époque, nous savions que la Mère donnait tout et reprenait tout : elle offrait nourriture, animaux et plantes, puis reprenait après. La chasse n’était pas un massacre de masse, mais la réception d’un don, celui de la Mère et de l’esprit de l’animal, qui, après la mort, retournait vivre auprès d’elle. Le rituel est né comme un réenactement du cercle vie-mort-vie. La vie était circulaire, saisonnière, à l’image de la Mère.

Puis les choses se sont accélérées, et le flux du Temps s’est mis à couler dans une seule direction : en ligne droite, bien sûr… Les arts créatifs sacrés, comme la poterie et le tissage, ont commencé à se fabriquer en masse ; le commerce est né, suivi des échanges et des migrations. Peuples, tribus et leurs animaux domestiques se sont mis en marche, découvrant de nouveaux territoires, luttant pour les ressources et repoussant les populations autochtones. Tout cela a commencé il y a plus de 5 000 ans, et bien que nos techniques modernes soient plus destructrices et que nous soyons des milliards de plus, le patriarcat n’a en réalité inventé aucune nouvelle méthode de conquête. (Il ne fait que détruire plus rapidement.)

Et pourtant ! Au cœur de ce nouveau monde de vacarme et de confusion, Artémis continuait de répandre sa promesse d’abondance, comme le lait débordant des seins d’une mère. Il semble que les premières mentions du culte d’Artémis soient celles qui parlent des Amazones, qui auraient apporté son culte de la Macédoine et de la Thrace jusqu’à Éphèse. L’image qui nous est parvenue de cette facette de la déesse est celle d’Artémis d’Éphèse, Polymastos, la Déesse aux multiples seins. Elle incarne la puissance nourricière et généreuse de la nature, déesse du lait et du miel. Son corps était couvert de seins et de reliefs sculptés représentant des animaux. Ses pieds se rejoignaient en une posture pointue, qui semble faire écho à notre ancienne Grande Déesse des cavernes, dont les pieds effilés pouvaient s’enfoncer dans la terre meuble.

Les Arcadiens ont érigé des temples dédiés à Artémis partout dans cette région de la Grèce antique. Ils la percevaient autrement : comme la jeune Maîtresse indépendante des Animaux, et c’est cette image que son nom évoque encore pour la plupart d’entre nous. C’est à ce moment que les couches patriarcales commencent à recouvrir cette image. Une grande partie de nos représentations mentales d’Artémis a été façonnée par Homère dans l’Iliade, par Callimaque et par Nonnos. Des couches supplémentaires ont ensuite été ajoutées par les peintres de cour européens du XVIIIe siècle, qui ont réalisé des fresques murales et des œuvres d’art séculières à grande échelle inspirées des mythes grecs et romains redécouverts.

Nos ancêtres l’ont réellement portée avec eux à travers tout le bassin méditerranéen. La Grande Déesse Artémis était vénérée depuis les rivages de l’Anatolie (l’actuelle Turquie) jusqu’à la côte ibérique (l’actuelle Espagne), au nord jusqu’en Thrace (Bulgarie), au sud jusqu’en Afrique du Nord. Partout où elle allait, son nom reflétait les peuples qui l’adoraient. Elle devenait alors Diane, Artémis-Britomartis-Dame des Filets, Artémis Ephesia, Artémis Némétona, Titanis Phoibe, et tant d’autres.

Au fil des millénaires, elle a été transformée par des cultures davantage intéressées par un Dieu-père tout-puissant que par une Déesse-mère. Artémis fut alors considérée comme une enfant de Zeus, son droit à conserver sa virginité lui étant accordé par lui. Sa passion était la chasse plutôt que la protection de la faune, et sa silhouette était décrite comme “grande et masculine”. Les prêtres de ses temples exigeaient des sacrifices sanglants. Elle était grande et redoutée, et les gens la percevaient selon le contexte de leur époque, leurs besoins politiques et leurs tendances religieuses.

Ainsi se déroule l’expérience humaine de la Déesse. La Grande Déesse du Paléolithique et du Néolithique, dans l’image comme dans l’esprit, a été remodelée et soumise par le raz-de-marée de la culture patriarcale. Pourtant, elle est toujours restée, Dame des Choses Sauvages, trop puissante pour disparaître, trop sauvage pour être domestiquée. C’est cette Artémis Sauvage, éternellement libre, Déesse des Amazones, Mère du Lait et du Miel, qui peut nous apprendre ce que cela signifie d’être une Femme Sauvage… ou un Homme Sauvage.

On peut considérer qu’Artémis n’influence que trois sphères de nos vies : la fin, le milieu et le commencement ! Artémis était connue pour offrir une fin sacrée à la vie, et les femmes en particulier l’invoquaient pour qu’elle décoche ses flèches, leur permettant de bénéficier d’une “mort rapide”. En tant que sage-femme divine, les nouveau-nés étaient sous sa protection. Mais ce qui paraît le plus fascinant, c’est de pouvoir connaître cette déesse dans l’espace entre le commencement et la fin.

Les animaux sauvages et féroces devenaient dociles en présence d’Artémis. La nature est son élément, et elle est sauvage, aussi les animaux percevaient-ils ce lien. Nous avons nous aussi une nature sauvage. Lorsque nous nous retrouvons coincés dans un travail oppressant, ou lorsque nous nous rebellons contre un mode de vie trop rigide ou des attentes trop strictes à notre égard, c’est notre moi sauvage et naturel qui frappe contre les barreaux de sa cage, ou qui ronge sa propre patte pour tenter de s’échapper. Il peut être nécessaire de changer de travail, de relation ou de mode de vie pour plier les barreaux suffisamment et se faufiler dehors. Il se peut que tu doives renoncer à quelque chose de précieux, mais c’est possible. Cela demande du courage et une écoute attentive de ton animal intérieur. Une fois libéré·e, ton esprit peut courir, s’étendre, explorer, et tu auras la capacité d’apprivoiser n’importe quel environnement, qu’il s’agisse d’un désert ou d’une jungle urbaine.

Il existe une sauvagerie en chaque femme, qui peut et doit être explorée… As-tu entendu parler des Ménades ?

Méprisées, considérées comme des « folles », des « hystériques »… eh bien, évidemment qu’elles l’étaient ! Ne devenons-nous pas tous fous à force de nous contraindre à être trop civilisés, trop longtemps ?
Longtemps reléguées au domaine du mythe, les Ménades étaient des femmes bien réelles, vivantes, qui avaient compris que la « démocratie » de la Grèce classique n’était en réalité qu’une bonne affaire pour les hommes blancs et libres. Les femmes partirent. Pour de courtes périodes, ou peut-être pour toujours, elles quittèrent la « civilisation » et allèrent vivre dans les lieux sauvages. Artémis était leur déesse, Dionysos, leur dieu hermaphrodite. En sécurité dans les forêts montagneuses, les femmes dansaient de manière extatique, avec la joie de la vraie liberté. La rumeur se répandit dans toute la campagne : qu’aucun homme n’ose troubler ces femmes, sous peine d’être mis en pièces ! Des groupes de femmes se formèrent dans toute la Grèce antique et furent mentionnés par les auteurs de l’époque, parfois favorablement, souvent non. Elles furent laissées en paix.

Les femmes doivent puiser dans cette sagesse ancienne de nos aïeules qui vénéraient Artémis. Nous avons besoin de temps rien que pour nous ! À aucune époque de l’histoire les femmes n’ont été aussi isolées qu’aujourd’hui. Autrefois, même dans la mémoire vivante, les femmes passaient beaucoup plus de temps ensemble. Dans l’histoire américaine, il y avait les cercles de couture, de patchwork, de cuisine collective et bien d’autres moments communautaires pour partager nos histoires. En Europe, chaque village avait un lavoir commun, où les femmes frottaient les vêtements et résolvaient en même temps de nombreux problèmes. Depuis l’ère industrielle, lorsque les femmes ont massivement rejoint les usines et les bureaux, on a ressenti le besoin de contrôler leur travail. Mais être ensemble au travail ne signifie pas nécessairement que nous partagions quelque chose de positif. Être ensemble en dehors du travail est suspect. Cela rend les maris et les petits amis nerveux. Mais être ensemble pour le plaisir, c’est exactement ce dont nous avons besoin. Un peu de liberté, et nous aussi commencerons à danser de manière extatique. Qu’ils transpirent un bon coup !

Il y avait, et il y a, des hommes aimant les Déesses qui ont suivi Artémis. Les hommes de la Grèce antique ne pouvaient imaginer que les femmes faisaient autre chose que s’adonner à un sexe débridé hors mariage… alors ils ont inventé les “satyres”. Mais il est probable que les femmes n’étaient pas dans les bois à faire des orgies avec des satyres : elles voulaient simplement qu’on les LAISSE TRANQUILLES. Pourtant, l’intuition suggère qu’il y avait aussi des hommes vivant dans les lieux sauvages. Des hommes qui ne voulaient pas vivre comme des esclaves, qui n’appartenaient pas à la classe privilégiée par la démocratie, et qui n’étaient pas non plus des ermites ayant rejeté la civilisation pour la nature sauvage. Les hommes féministes vivant dans notre monde moderne peuvent parfois rencontrer plus de difficultés que les femmes. Comme Dionysos, ce sont des Fils de la Mère. Ils sentent en eux la présence du Féminin Divin. La culture dominante ne soutient certainement pas les hommes qui ont quoi que ce soit à voir avec le Féminin sacré. Des traîtres !… Et même les femmes féministes ne savent pas toujours quoi penser de ces hommes. Peut-on leur faire confiance ?

Nous devrions ! Nous devrions leur faire confiance et les encourager à chercher la Déesse si c’est là que leur cœur les mène. C’est lorsque nous courons tous avec la Déesse, sauvages, libres, que nous goûtons à la joie. (Même si ce n’est que pour quelques heures le week-end !) Quand nous dansons pieds nus et courons avec abandon, nous pouvons puiser dans cette énergie joyeuse et l’insuffler dans notre vie quotidienne.

Maintenant, cesse de courir.
Ce que tu cherches est ici.
Écoute.
Écoute ton cœur qui bat à toute vitesse,
écoute vraiment.

Artémis murmure :

« Si tu veux venir avec moi alors…
dépasse le faire,
et entre dans le Vivant. » »

« Si tu veux venir avec moi alors…
Cesse de t’égarer dans les gestes, les routines ou le tumulte ;
et fais l’expérience sacrée de la Vie. »

Mut Danu, grande prêtresse Apple Branch, une tradition dianique. Solstice d’hiver 2007.

Notes :

* Courir avec Artémis est une allusion aux Héraia.  https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%A9raia

** Je n’ai trouvé ce texte qu’à un seul endroit sur le net : https://moongoddess14.tripod.com/id4.html

*** La phrase « Great Temples survived into recorded history, and now herstory » contient un jeu de mots subtil entre “history” et “herstory”.  “History” signifie l’histoire telle qu’on l’a traditionnellement écrite, souvent centrée sur les hommes. “Herstory” est un terme inventé pour mettre en avant l’histoire des femmes, ou l’histoire racontée du point de vue féminin. Donc, l’idée est que les grands temples ont survécu jusqu’à l’époque où l’histoire a été consignée par écrit (recorded history), le principe de l’histoire, et qu’aujourd’hui, nous pouvons les reconsidérer à travers une perspective féminine.

Du quartz aux esprits des profondeurs, les kobolds

Puisque ce mois-ci, dans notre tradition, le quartz est à l’honneur, j’ai commencé quelques recherches qui m’ont conduite… aux kobolde ! C’est irrésistible, il me faut donc en parler.

Quartz, zwerg et kobold : une étymologie enchantée

Le mot quartz proviendrait de l’allemand quarz, utilisé depuis le Moyen Âge dans les régions minières. Il est introduit en français au XVIIIe siècle, d’abord sous la forme quertz, puis quartz.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l’origine de ce mot. Parmi celles-ci, nous trouvons le mot querg, une ancienne forme de zwerg, c’est-à-dire « nain » en allemand, en référence aux créatures des mines souterraines appelées Kobolde. Vous noterez que ces êtres ou génies ont également inspiré le nom du cobalt, mais j’y reviendrai.

Esprit des montagnes, kobolde & nains

Dans les traditions germaniques, le kobold et le nain ont progressivement été assimilés. Cette assimilation s’explique par le fait qu’ils partagent le même habitat.

À l’origine, le kobold est un esprit domestique ou souterrain, parfois bienveillant, parfois malicieux, lié à la maison ou aux mines. Le nain est plutôt une créature mythologique associée aux profondeurs de la terre, aux métaux et aux savoirs secrets. Mais leur habitat commun (les pierres, les grottes, les galeries) a favorisé un glissement entre les deux figures.

Dès le XVIe siècle, les kobolde sont décrits comme des « mineurs » (surnaturels), tout comme les nains. Ils deviennent des esprits des mines, gardiens ou perturbateurs des filons.

Cette assimilation reflète une évolution des croyances : les distinctions entre les types d’esprits s’estompent, et les figures se fondent dans un imaginaire commun où la pierre est vivante, habitée, et parfois capricieuse.

Le kobold, génie domestique ou esprit des profondeurs

Le kobold est une figure du folklore germanique, généralement décrite comme un esprit domestique ou souterrain. Le mot Kobold dérive probablement de kobe (pièce, chambre) et walten (régner), ce qui en ferait littéralement un « maître de la maison » ou pour le dire autrement un esprit tutélaire du foyer. À l’origine, il ne désigne pas un être vivant, mais une figure sculptée en bois ou en cire, à laquelle on faisait des offrandes de nourriture à certaines périodes de l’année.

Explorons maintenant les deux facettes principales de cette créature ambivalente.

Génie domestique

Dans les foyers, le kobold est perçu comme un esprit protecteur, capable d’apporter prospérité et ordre, à condition d’être respecté. Il peut aussi se montrer malicieux, voire destructeur, si on le néglige ou l’offense. Les récits populaires le décrivent souvent comme invisible, bien qu’il puisse se manifester par des bruits, des déplacements d’objets ou des apparitions fugaces.

Kobold des mines

Dans les régions minières, le kobold devient un esprit souterrain, gardien des trésors enfouis et des filons.

La nature du kobold est double. Il peut être bienveillant, aidant les mineurs à trouver des filons ou à éviter les dangers. Mais il peut aussi se montrer malicieux, provoquant des accidents, des éboulements ou des suffocations, souvent interprétés comme des punitions pour avoir manqué de respect ou transgressé des règles implicites.

Les mineurs, notamment des montagnes du Harz, en Allemagne, le tenaient pour responsable de la disparition de minerais précieux ou de la transformation de gisements en substances inutiles. Ils utilisaient le terme Kobold-Erz, c’est-à-dire « minerai du kobold », pour désigner certains minerais qui semblaient prometteurs, mais qui ne produisaient pas de métal utile à l’extraction. Ces minerais contenaient en réalité du cobalt, souvent associé à de l’arsenic et du soufre, ce qui les rendait toxiques et inutilisables avec les techniques de l’époque. Ce mythe est à l’origine du nom du cobalt.

Le kobold est ainsi lié à la croyance selon laquelle les esprits des montagnes pouvaient « voler » le minerai ou le rendre invisible, « transformer » des pierres précieuses en quartz sans valeur ou cacher les minerais aux mineurs. Les mineurs l’accusaient d’avoir ensorcelé la roche. Ce mythe trouve un fondement géologique : la teneur en minerai d’une roche diminue souvent lorsque la proportion de quartz augmente.

Esprit des pierres

Dans la mythologie germanique, les pierres sont considérées comme des lieux habités par des esprits : nains, elfes, kobolde et génies tutélaires y résident ou y veillent. Elles sont perçues comme des seuils vers l’invisible, parfois sacrées, parfois dangereuses.

Un jour que le roi Sveigdir rentre d’une beuverie, il aperçoit un nain assis au pied d’une pierre, qui l’invite à le suivre ; tous deux entrent dans la pierre, et le roi ne revint jamais plus.

Extrait de Démons et génies du terroir, Claude Lecouteux.

L’apparence du kobold

Les kobolde sont la version allemande des knockers domestiques (britanniques). Il ne sont pas particulièrement serviables. Ils sont plutôt enclins aux farces et aux espiègleries. Ils chasseraient volontiers les mineurs s’ils menaçaient de détruire leur ouvrage. Pourtant, il leur arrive parfois d’être étonnamment utiles. Illustration : Brian Froud.

Je ne sais pas vous, mais moi j’ai très envie de savoir à quoi ressemblerait un kobold, n’ayant jamais eu la chance ou la malchance d’en croiser, dans ce monde ou le suivant. Après quelques recherches, il serait de petite taille, son habitat serait donc souterrain ou domestique. Son  comportement serait ambivalent, comme nous l’avons vu. Il pourrait se rendre invisible et il serait métamorphe. Parfois entendu, mais rarement vu. Dans certaines œuvres modernes, le kobold est parfois représenté avec une houppelande sombre, un bonnet rouge ou une lanterne, voire une bougie sur le bonnet, comme un veilleur des galeries. Ces représentations sont savoureuses. Le travail de Brian Froud et celui de Jean-Baptiste Monge sont particulièrement remarquables.

Du culte à la fiction

La figure du kobold illustre le passage des croyances païennes vers le récit populaire : d’abord associé à un culte domestique, il devient personnage de fabliau, relégué à la fiction. Pourtant, sa présence dans les contes et légendes témoigne de la persistance d’une culture préchrétienne. Aujourd’hui, cette figure perdure à travers des œuvres contemporaines, où elle continue d’incarner le mystère des profondeurs et l’ambivalence des esprits anciens.

Eh ! Rien d’étonnant, finalement, à ce que le quartz m’ait menée aux kobolde.

***

Illustrations :

Bibliographie :

  • Bächtold-Stäubli, Hanns. Kobold, in Handwörterbuch des deutschen Aberglaubens (HDA). Étude approfondie sur les origines, fonctions et variantes régionales du kobold dans le folklore germanique.
  • Grimm, Jacob. Deutsche Mythologie. Göttingen : Dieterich, 1835. Ouvrage de référence sur les croyances populaires et les figures mythologiques germaniques.
  • Lecouteux, Claude. Démons et génies du terroir au Moyen Âge. Paris : Imago, 1995.
  • Lecouteux, Claude. Les nains et les elfes au Moyen Âge. Paris : Imago, 2002.
  • Lecouteux, Claude. Les Esprits de la maison. Paris : Imago, 2005.
  • Mannhardt, Wilhelm. Wald- und Feldkulte. Untersuchungen zur Geschichte der deutschen Mythologie. Berlin : Borntraeger, 1875.

Ressources en ligne :

Les fées (poilues) protectrices du verger : Awd Goggie & Gosseberry Wife

Quoi de plus amusant que de découvrir de nouvelles créatures féeriques, surtout quand elles sont assez différentes des fées victoriennes anthropomorphes, mignonnes et un peu mièvres ? Je crois en avoir croisé une dans mon jardin récemment, comme vous pouvez le voir sur la photo 😉 Je vous présente donc ces deux fées poilues… auxquelles il vaut mieux éviter de se frotter !

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Les gardiennes invisibles du verger : Awd Goggie et Gooseberry Wife

Dans la campagne anglaise, à l’abri des regards indiscrets et des récoltes précoces, deux figures folkloriques veillaient silencieusement sur les vergers et les haies fruitières : Awd Goggie et la Femme-Groseille (Gooseberry Wife). Utilisées depuis longtemps pour effrayer les enfants et protéger les fruits non mûrs, ces créatures appartiennent à une catégorie fantastique appelée nursery bogies — des êtres dont le rôle est à la fois éducatif et protecteur.

Awd Goggie, originaire du Yorkshire de l’Est, prenait la forme d’une énorme chenille velue (assez grande pour dévorer les enfants désobéissants). Tapie dans les bois ou cachée derrière les pommiers, elle surveillait ceux qui tentaient de cueillir les fruits avant leur maturité. Dotée du pouvoir de devenir invisible, elle incarnait une menace à la fois tangible et mystérieuse — souvent évoquée par les adultes sur un ton grave :

« Ne touche pas à ces pommes, ou Awd Goggie te dévorera. »

À l’autre bout de l’Angleterre, sur l’île de Wight, la Femme-Groseille remplissait un rôle similaire. Elle apparaissait aussi sous la forme d’une chenille géante, rôdant près des buissons de groseilles, toujours attentive aux petites mains curieuses. Là encore, la peur servait de barrière protectrice entre les enfants et les cultures.

Malgré leurs différences géographiques, ces deux créatures partagent des caractéristiques communes :

  • Une apparence volontairement inquiétante, destinée à marquer les esprits
  • Un rôle de gardiennes du cycle naturel de maturation
  • Une fonction de régulation sociale, mêlant dissuasion et imagination

À travers elles, émerge une forme de pédagogie fondée sur le respect de la nature et de ses rythmes. Plutôt que d’imposer des règles sèches, les communautés rurales transmettaient des valeurs et des avertissements par le biais de récits et d’enchantements. Ces bogies inspiraient la peur, certes — mais elles enseignaient aussi que chaque être vivant doit suivre son propre rythme, et que récolter trop tôt peut avoir des conséquences.

Bibliographie/Sources :

  • Bane, T. (2013). Encyclopedia of Fairies in World Folklore and Mythology. McFarland & Company.
  • Briggs, K. M. (1971). Abbey Lubbers, Banshees, and Boggarts: An Irregular Compendium of Fairy Lore. Pantheon Books.
  • Simpson, J., & Roud, S. (2000). Dictionary of English Folklore. Oxford University Press.
  • Nursery Bogie- The Awd Goggie : https://www.geocities.ws/myste_realm/awd.html/

Méditation Faery pour l’Hiver, par Mut Danu [Tree Mothers]

Cette méditation est extraite du chapitre 27 : Idho, l’if,  de The Tree Mothers par Mut Danu, notre ainée. Ce texte a été traduit par Memnoch pour le magazine Lune Bleue, il apparaît sous le titre : Méditation Faery pour l’Hiver, Visualisation guidée pour le Solstice d’Hiver. 

Méditation : descendre dans le monde-d’en-bas : le passage de l’If

Pour mieux comprendre l’énergie de l’Esprit de l’If, cette méditation ou voyage devra être effectuée à l’aube, juste avant le lever du soleil.

Prévoyez :

  • une bougie allumée
  • et des allumettes.

Éteignez toutes les lumières autour de vous et asseyez-vous confortablement.

Centrez-vous en vous concentrant sur la flamme de la bougie.

Lorsque vous serez prêt, soufflez la chandelle.

Pour entrer dans le monde de la Faery, l’accès se fait par le Nord. De votre espace de méditation, tournez-vous dans cette direction.

Levez votre main et faites le geste d’ouvrir une porte.

Dans votre esprit, visualisez et ressentez vos représentations du Nord : regardez par la porte ouverte le ciel clair d’hiver, sentez le vent froid qui vous enveloppe, voyez le paysage noir, obscur se détacher dans la nuit.

Observez-le, couvert de fourrés d’herbes mortes et distinguez un sentier qui s’en détache.

Restez derrière la porte pendant que votre vision se forme et, lorsque vous serez prêt, passez simplement la porte.

Vous êtes à l’extérieur à l’heure où la nuit et le jour se rencontrent.

Vous sentez la bise froide sur votre visage.

La lune est noire mais le ciel est recouvert d’étoiles qui scintillent.

De votre place, vous pouvez distinguer le paysage qui se détache de la nuit.

Le chemin à vos pieds semble émettre son propre rayonnement devenant de plus en plus faible au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans l’obscurité.

Suivez ce chemin.

Ouvrez vos sens à votre environnement.

Sentez les picotements du vent contre votre corps et le sentier irrégulier sous vos pieds. Le vent se renforce au fur et à mesure de votre progression, et vous tenez votre manteau serré autour de vous.

Sentez le vent qui vous pousse.

Au détour du sentier, soudain, un arbre s’élance vers le ciel.

Une haie persistante pousse le long du sentier, les feuilles des plantes se rejoignent pour former un tunnel obscur.

Levez la main pour toucher la branche la plus proche et sentez ses aiguilles fines.

C’est un if centenaire, l’Arbre de la Mort. Faites une pause et réfléchissez à ce que la mort signifie pour vous : la peur, la perte, la douleur, la tristesse.

Vous n’êtes peut-être pas prêt à entrer dans ce tunnel.

Mais le vent change soudain de direction et vous pousse par-derrière. En trébuchant, vous faites un pas à l’intérieur du tunnel.

Une fois à l’intérieur de cet abri naturel, le vent froid n’a plus d’emprise sur vous. Sous la protection de l’if, vous êtes calme, à l’abri des menaces et de la peur. Vous pouvez alors vous avancer dans le tunnel.

Plus loin, le sentier lumineux plonge dans le paysage, ou peut-être en dessous.

Les branches de l’if forment toujours un tunnel solide au-dessus de votre tête.

Les racines s’échappent de la terre et frôlent votre manteau.

Le sentier tourne lentement, comme une large spirale. Devant vous, une vieille femme est assise sur un gros rocher.

Elle porte une grande robe sombre à capuche recouverte de symboles lumineux. Vous en reconnaissez certains, mais pas tous.

Sur ses genoux, un bol noir en terre, rempli de volutes de brouillard.

Au fond de vous, vous avez reconnu l’Esprit de l’If.

Elle est en train de fixer le bol, et ne donne pas d’indice  quant à votre présence. Vous vous asseyez à côté d’elle sur la pierre.

Concentrez-vous, afin de bien ressentir où vous êtes.

Sentez le froid glacial qui s’échappe de la pierre où vous êtes assis et qui émane de son corps à elle.

La femme à la capuche commence alors à remuer le contenu du bol et vous plongez votre regard dans les volutes en oubliant tout le reste.

Au fond du bol, vous revoyez des souvenirs, des scènes de votre vie, des gens, des endroits, des choses qui ont ou ont eu de l’importance pour vous.

Laissez ces images grandir et plongez dans vos souvenirs jusqu’à en faire partie, à les revivre. Vous êtes en train de devenir le contenu du bol.

À présent, lentement, un par un, vous commencez à dissoudre ces événements et images.

Vous ne les rejetez pas nécessairement, bien qu’il y en ait certains que vous désirez oublier.

Allez au-delà de votre ressenti, au-delà de la joie et la tristesse. Regardez ces événements objectivement, comme s’ils étaient ceux d’une autre personne.

Continuez à mélanger ces images de votre passé dans le bol lumineux, jusqu’à ce qu’elles se dissolvent.

Regardez de nouveau dans le bol et vous y voyez, non plus votre passé, mais un liquide luisant de possibilités, une spirale d’étoiles qui se détache du ciel obscur.

Levez les yeux vers la Dame de l’If. Elle tient toujours son bol sur ses genoux, mais maintenant sa capuche est baissée et vous pouvez voir un visage sans âge qui rayonne de l’intérieur.

Assis à côté d’elle, vous ressentez maintenant de la chaleur s’échapper d’elle, et de l’espace autour de vous.

Votre corps baigne dans cette chaleur. Sentez cette chaleur. Sentez le sang qui circule dans vos veines, sentez la terre à vos pieds qui pulse comme un cœur qui bat.

La Dame de l’If se lève alors et écarte les bras.

Elle rejette sa cape en arrière et une lumière dorée s’échappe de ses doigts et de sa chevelure.

Elle rayonne, en connexion avec toute chose, en connexion avec la vie. Puis elle disparaît, laissant l’air ambiant scintiller de lumière.

Au-dessus de votre tête, de la lumière pénètre au travers des branches de l’if comme un millier de minuscules étoiles.

Vous soulevez alors une branche qui vous bloquait le passage et seul, vous vous dirigez vers la sortie du tunnel, vers la lumière du soleil levant.

Prenez un instant pour sentir le soleil. Écartez les bras et respirez profondément. Revenez doucement dans le présent et dans votre espace de méditation.

Ouvrez les yeux, et s’il fait toujours sombre, rallumez la bougie.

Prenez votre journal et écrivez-y ce qui vous passe par la tête : vos sentiments, vos émotions, vos observations. Concentrez-vous sur ce dont vous vous souvenez de votre rencontre avec la Dame de l’If, les sons ou les mots que vous avez entendus, les images que vous avez vues, les idées, la connaissance et les messages que vous avez reçus. Vous pouvez inventer une multitude de questions directement liées à votre situation personnelle.

***

Voici un exemple de questions que vous pouvez utiliser comme point de départ dans vos réflexions de votre journal :

  • Lorsque (être aimé) est décédé, j’ai…
  • Lorsque j’ai perdu (mon emploi, ma relation amoureuse…), la première chose que j’ai faite est…
  • Lorsque j’aurai terminé (l’école, mon projet …), je
    pourrai ensuite…
  • Lorsque je pense à ma propre mort, je ressens….
  • Mes sentiments sur l’après-mort sont…

Les esprits des arbres

Par Jennifer Sandlin, traduction Fleur de Sureau. Extrait du magazine The Hazel Nut n° 26 (équinoxe de printemps 1998).

Aujourd’hui (le 18 novembre 1994) est le premier jour de ma vie où j’ai vraiment ressenti et vu l’esprit des arbres et arbustes. J’étais en train d’observer un arbre en particulier et de remarquer sa beauté. D’une façon ou d’une autre, j’ai décidé d’envoyer de l’amour à cet arbre. Ce que j’ai reçu en retour était de l’amour, mais pas le mien. Il m’est apparu différemment de mon propre amour, en sensation et en texture, et il était puissant. J’ai commencé à en envoyer à chaque arbre vers lequel je marchais et à mesure que je m’approchais, je pouvais ressentir encore plus fortement son amour. Je devais m’ouvrir à lui pendant quelque temps, mais parfois je pouvais sentir en retour ce que je donnais. Avec certains arbres, je sentais une connexion, plus qu’avec d’autres, que je ne peux expliquer. Mais une fois que j’ai pris conscience de la sensation de cet amour émanant d’eux, j’ai commencé à percevoir leurs esprits, puis à entendre leurs voix spirituelles me parler et répondre à mes questions. C’était une expérience si émouvante que je devais la noter tout de suite. Il n’y a que 4 ou 5 personnes à qui je pourrais en parler, peut-être moins. Cela ne m’a pas effrayé ni stressé ; je ne me suis pas sentie oppressée ou observée comme habituellement lorsque je commence à percevoir les esprits. Mais cette fois-ci, c’était une connexion séculaire entre deux êtres vivants, plante et animal, esprit et esprit. Nous sommes faits de la même énergie et je pouvais ressentir cette familiarité avec eux comme s’ils me connaissaient depuis des années. J’espère ne jamais oublier cette expérience, car elle a ouvert mes sens et m’a permis de ressentir les plantes. Je souhaitais que cela arrive depuis des années. J’étais finalement prête pour cela.

Cet article de mon journal a été rédigé en novembre 1994 pour un cours que je suis à l’université d’Auburn. Nous devions écrire à propos d’une chose que nous désirions ou pour laquelle nous ressentions le besoin de le faire. Le cours a lieu devant l’ancien laboratoire de biologique et bâtiment des soins infirmiers.

Si vous n’avez jamais expérimenté la nature aussi intimement, sachez que c’est possible. Mes expériences ont été peu nombreuses, mais elles deviennent plus intéressantes à chaque fois. Voici quelques étapes à suivre. Peut-être qu’elles fonctionneront pour vous ou peut-être pas. Bonne chance !

  1. Entourez-vous de nature : allez en forêt, près d’un ruisseau, dans le désert, en montagnes ou tout autre endroit calme en extérieur.
  2. Concentrez votre attention sur un rocher, un arbre ou une plante.
  3. Soyez calme et écoutez, ouvrez-vous à toutes pensées, sentiments ou impressions qui viennent à vous. Ne les remettez pas en question, acceptez-les simplement tels qu’ils sont.
  4. Posez une question, soit à voix haute soit en esprit. Ou visualisez ou imaginez des sentiments d’amour émaner de votre corps, soit comme une lumière blanche, soit rose.
  5. Attendez encore et écoutez. Soyez ouvert à tout ce qui est extérieur à vous. Si vous avez de la chance, il se passera quelque chose.
  6. Écrivez-moi ou envoyez-moi un e-mail à propos de vos expériences (wjsand@interserv.com, Jennifer Sandlin, 90 Ashmore Drive, Newnan, GA 30263). Peut-être pourrions-nous former un groupe de Personnes-qui-parlent-aux-arbres !

Amour et lumière !

Le grand Homme Vert

The Green Man a été longtemps, pour moi, le nom d’un pub à Londres où les retrouvailles comme les fins de soirées étaient toujours chaleureuses. L’enseigne de l’établissement, un homme en habit feuillu tenant une pinte aurait dû éveiller mes soupçons, mais je crois qu’il n’appartenait pas à mes préoccupations du moment.

Vous connaissez forcément son visage sous l’un de ses trois aspects. C’est tantôt un homme portant un masque de feuilles où la bouche et les yeux sont visibles. C’est parfois une figure humaine cerclée de feuilles qui sortent également de sa bouche comme un souffle. Et sur certaines représentations, les feuilles jaillissent de sa bouche, mais également de ses narines et de ses yeux.

Élément d’architecture religieuse médiévale, il est pourtant difficile de le réduire à une simple décoration artistique. Présent sous forme de sculpture (bois et pierre) dans les églises ou monuments mortuaires, il témoigne plutôt que les concepts païens et chrétiens ont longtemps cohabité (si vous êtes intéressé par ce concept vous trouverez de quoi satisfaire votre curiosité dans l’ouvrage The Green Man in Britain de Fran & Geoff Doel). Malgré tous les efforts engagés pour la diaboliser, cette figure a tenu bon en se rangeant discrètement du côté des éléments décoratifs.

Les partisans de la représentation artistique évoquent les masques de théâtre grec antique portés lors des bacchanales. Ils avancent que la représentation de l’homme vert s’en inspire. Les coutumes et le folklore nous offrent d’autres pistes de réflexion.

Sir James Frazer, dans son ouvrage The Golden Bough, évoque le culte des arbres. Il indique comment un culte animiste qui offrait à chaque arbre sa personnalité et conscience propre a évolué. Au cours de cette évolution vers un culte polythéiste, c’est un esprit surnaturel passant d’arbre en arbre qui anima la forêt en jetant les prémices d’une figure divine aux traits plus humains.

L’approche animiste se retrouve dans le mât de mai vénéré par les populations celtiques et germaniques en Europe. Ce mât faisant figure d’idole a fortement déplu aux autorités religieuses. Celui de l’église Saint Andrew Undershaft est un exemple. Le curieux nom de l’église provient du mât de mai (undershaft) qui était traditionnellement installé chaque année en face de l’église. La coutume a continué chaque printemps jusqu’en 1517. Le mât a perduré jusqu’en 1547 où il fut enlevé par la foule et détruit comme une « idole païenne ».

L’approche polythéiste se retrouve peut-être sous les traits de Jack in the Green. Cette figure du printemps est endossée par une personne portant un cadre pyramidal ou conique en osier ou en bois décoré de feuillage. Il se rencontre dans le cadre d’une procession, souvent accompagné de musiciens. The Garland King perpétue également cette tradition. À cheval et dissimulé jusqu’à la taille par une lourde guirlande florale en forme de cloche, il mène une procession à travers la ville traditionnellement le 29 mai.

Le symbolisme de l’homme vert se rapporte à la nature. Le flot de végétation sortant de ses orifices rappelle la capacité de la nature à renaître. Il incarne les cycles et le rythme immuable de la nature passant au fil des saisons de vie à trépas. Sa couleur verte se rapporte à la fertilité et par conséquent à la sexualité. Elle évoque également l’enchantement et le royaume des fées. L’homme vert porte la couleur de la nature sauvage et de toutes les créatures qu’elle recèle. Sous cet éclairage, on comprend mieux le dégoût de la religion pour la couleur verte. Ce rejet s’accompagne d’une défiance à l’égard de la nature et de la nécessité de la soumettre pour asseoir la suprématie humaine.

Pourtant le Green man n’a rien perdu de sa souveraineté. Son masque souvent constitué de rameaux de chêne indique sa force et son sens inhérent de la justice. Celle de la nature n’étant pas celle des hommes. Les concepts de pardon et de récompense n’ont pas de réalité dans ce cadre. La loi de causalité s’exerce dans l’idée que l’on récolte ce qu’on a semé. Le gaspillage, la pollution, la cupidité dont nous faisons preuve à l’égard de la nature donnent au Green Man un visage grave. Il est intéressant de remarquer que certaines figures apparaissent dans votre vie à des moments bien précis pour attirer l’attention sur des déséquilibres ou des impasses. Lors de ma première moitié de vie, il s’est fait discret et je l’ai même trouvé parfois ridicule à l’instar d’un masque vénitien de pizzeria ! Il s’est étoffé dans ma vie d’étudiante comme s’étoffe un buisson au printemps. C’est un expert dans l’art du camouflage, mais le poète ou l’initié le trouvera dans le contour d’un bosquet, l’ombre d’une frondaison ou le bruissement du feuillage.

Mina.

Les arbres à fées

Par Katharine Briggs, extrait de : « A dictionary of fairies ». Traduction & adaptation Fleur de Sureau.

Depuis des temps très anciens, presque tous les arbres sont associés au sacré. Bien que certains soient plus sacrés que d’autres. Il y a la trilogie magique du chêne, du frêne et de l’épine. Il y a les arbres fruitiers, en particulier le pommier et le noisetier ; il y a le sorbier, le houx et le saule, le sureau et l’aulne. Certains arbres semblent être considérés comme possédant une personnalité qui leur est propre et certains sont plus spécifiquement des repaires de fées ou d’esprits.

Comme arbre sacré, la plupart des gens penseront d’abord au chêne, vénéré par les druides, et il est certainement assez fort pour le rester de son propre chef, bien que tout le monde connaisse le couplet :

Fairy folks
Are in old oaks,

Le peuple féerique
Se trouve dans les chênes antiques,

Et de nombreux bosquets de chênes seraient hantés par les sinistres oakmen (hommes-chênes). L’aubépine possède certaines qualités qui lui sont propres, mais elle est principalement considérée comme un arbre sacré pour les fées ou hanté par elles. C’est particulièrement le cas des aubépines solitaires qui poussent près des collines des fées ou qui constituent un cercle de trois spécimens ou plus. On supposait que la blanche mai en fleur apporter la mort dans la maison et bien qu’on la cueillait le matin de Mai, elle était suspendue à l’extérieur.

Ruth Tongue a collecté une chanson folklorique du Somerset dont le refrain illustre la croyance populaire à propos d’arbres très différents :

Ellum do grieve.
Oak he do hate.
Willow do walk
If you travels late.

L’orme se désole.
Le chêne haït.
Le saule marche
Si vous voyagez tard.

Peut-être à cause de la vulnérabilité des ormes aux maladies, on pensait que si l’on abattait un orme, son voisin dépérirait et mourrait en sympathie. En revanche, les chênes, dont le statut était autrefois divin, éprouvaient un amer ressentiment lorsqu’ils étaient coupés et un bosquet de chênes qui jaillissait des racines d’une forêt de chênes abattue était malveillant. Et il était dangereux de le traverser la nuit, et plus spécialement s’il s’agissait d’un bois où poussaient des jacinthes sauvages. Les saules étaient même plus sinistres encore, car ils avaient l’habitude de se déraciner lors de nuit noire et de suivre le voyageur solitaire en marmonnant. Tolkien est fidèle à la tradition populaire quand il évoque le comportement ogresque du Vieil Homme Saule.

Wood-Martin, dans son livre « Traces of the Elder Faiths of Ireland », consacre une certaine attention aux croyances liées aux arbres. Par exemple, à propos du frêne sacré, il en mentionne un dans la paroisse de Clenor, Comté de Cork, dont les branches n’ont jamais été coupées, bien que le bois de chauffage soit rare alentours, et un autre à Borrisokane, « the old Bell Tree », sacré pour les rites du 1er Mai, pour lequel on croyait que si un homme en brûlait même un fragment dans son foyer, sa maison entière serait réduite en cendres. Le propriétaire d’un cottage s’est attiré pareil destin lorsqu’il essaya de couper la branche d’un sureau sacré surplombant le puits d’un saint. Il s’y essaya trois fois ; par deux fois, il s’arrêta parce que sa maison semblait être en feu, mais il s’agissait d’une fausse alerte. La troisième fois, il décida de ne pas se laisser berner par les apparences et il emporta la branche dans son cottage, pour le retrouver entièrement brûlé. Il avait reçu des avertissements.

Il existe deux points de vue à propos du sureau. Il fut un arbre sacré, comme nous pouvons le voir à travers la « Vieille Mère Sureau » d’Hans Andersen. Dans le Lincolnshire également, on jugeait nécessaire de demander la permission à l’arbre avant d’en couper une branche.

La formule était la suivante :

« Owd Gal, give me of thy wood, an Oi will give some of moine, when I graws inter a tree »

« Vieille fille, donne-moi de ton bois, et je te donnerai du mien quand je serai un arbre. »

(County Folk-Lore vol. V, p. 21).

Ses fleurs et ses fruits étaient très appréciés pour le vin, l’arbre était un abri contre les mouches et l’on disait aussi que les bonnes fées y trouvaient une protection contre les sorcières et les mauvais esprits.

D’un autre côté, dans l’Oxfordshire et les Midlands, de nombreux sureaux étaient fortement suspectés d’être des sorcières transformées, et ils étaient supposés saigner si on les coupait. La sorcière des Rollright Stones prenait la forme d’un sureau selon la légende populaire.

D. A. Mac Manus, dans « The Middle Kingdom: an explanation of comparatively modern fairy beliefs in Ireland », consacre un chapitre aux arbres à fées et donne de nombreux exemples de jugements qui s’abattent sur les gens qui ont détruit des arbres épineux sacrés. Il croit que certains arbres sont hantés par les fées et d’autres par des démons, et donne un exemple d’un groupe de trois arbres proches les uns des autres, deux épineux et un sureau, qui était hanté par trois mauvais esprits. Il dit que lorsqu’un chêne, un frêne et une épine poussent les uns rapprochés des autres, un rameau prélevé sur chacun que l’on nouait tous trois entre eux par un fil rouge étaient considérées comme une protection contre les esprits de la nuit. En Angleterre, le frêne était une protection contre les esprits malicieux, mais en Écosse, le sorbier des oiseleurs était encore plus puissant, probablement du fait de ses baies rouges :

Rowan, lammer (amber) and red threid
Pits witches to their speed,

Sorbier, ambre et fil rouge,
Mettez les sorcières en fuite,

Comme le disait le vieil adage. Rouge a toujours été une couleur vitale et victorieuse. Un houx porteur de baies était une puissance bénéfique. D’un autre côté, un houx stérile (c’est-à-dire le houx qui porte les fleurs mâles) était considéré comme malveillant et dangereux.

Deux arbres fruitiers, le pommier et le noisetier, possédaient des qualités spécialement magiques. Les noisettes constituaient la source de la sagesse, ainsi que de la fertilité, et les pommes celle du pouvoir et de la jeunesse. Un danger était inhérent à chacun d’eux. Un « ymp-tree » (c’est-à-dire un pommier greffé) résidait sous l’influence du peuple féerique et un homme qui s’endormait sous celui-ci leur était assujetti, comme le découvrit Sir Lancelot qui fut emporté par des fées. Un destin quelque peu similaire frappa la Reine Meroudys dans le poème médiéval du Roi Orfeo.

Les pouvoirs de fertilité des arbres porteurs de fruits à coque pouvaient être exagérés et le Diable était censé se trouver dehors, dans les bois, à l’époque de la cueillette des noix et des noisettes ; « so many cratches, so many cradles » (ndlt : « tant de noix/noisettes, tant de berceaux », le terme « cratch-cradle » désigne une mangeoire, une crèche, cratch désigne également le meuble/le panier où est stocké la nourriture dans la maison) dit l’adage du Somerset, cité par Ruth Tongue dans « County Folklore » (vol. VIII).

D’autre part, les noisettes mangées par une truite ou un saumon donnaient à leur chair le pouvoir de transmettre la sagesse dès le premier contact. C’est ainsi que Finn obtint sa dent de sagesse (ndlt : « Finn Mac Cumaill, élève d’un poète ou file, était occupé un jour à faire rôtir un saumon pour le compte de son maître. Mais il se brûla en tournant la broche et il porta le doigt à sa bouche. Il fut aussitôt rempli de la science universelle et eut une dent prophétique : il lui suffisait de placer son pouce sous sa dent de sagesse et de le mâcher pour être doué de prophétie. »)

Mac Manus fait mention d’autres arbres à fées, le pin sylvestre, le bouleau, le prunellier et le genêt, bien que ce dernier soit un arbuste plutôt qu’un arbre. Le hêtre est un arbre saint, sans lien avec les fées. On dit que les prières prononcées en dessous montent droit aux cieux. Autrement, il est difficile de penser à un arbre qui ne possède pas de connexion avec les fées.

[Motifs : A2766.1 ; D950.2 ; D950.6 ; D950.10 ; D950.13 ; D1385.2.5]

Illustrations d’en-tête par Brian Froud. Illustration suivante : Arthur Rackham.

Lieu légendaire : La Mauvaise Vieille & le Pas de Gargantua

Pour choisir le lieu légendaire à traiter pour le mois de l’aulne, j’ai hésité entre « le pont du diable » de Tours-sur-Meymont qui se situe à 4 km de chez moi et « le pas de Gargantua » qui se trouve à une vingtaine de kilomètres.

Comme l’une des figures mythologiques de ce mois-ci est un ancien héros transformé en géant (Bran-le-Béni) et qui termine en génie topique, mon choix s’est porté sur le « Pas de Gargantua ». J’avoue aussi que le lieu-dit où il se trouve a encouragé ce choix. Son nom étant Malvieille.

Et puis, il paraît que c’est une très jolie promenade en moyenne montagne dans un sous-bois de pins, le long d’un petit ruisseau courant à travers les rochers. Dès la fin du confinement, cela nous fera l’occasion d’une gentille randonnée dans la région.

Pas de Gargantua

Le Pas de Gargantua est une pierre dite à cupules. Bien que le terme me semble inapproprié, car une cupule correspond à une assez petite cavité. Le terme de pierre à bassin semble plus adéquat, ou mieux encore pierre à empreinte pédiforme. Car, en effet, le creux dans la pierre évoque le pied gauche d’un géant.

L’empreinte que ce géant aurait laissée dans cette pierre mesure 2,80 mètres de long et 1,20 mètre de large. La pierre est un granit fin à biotite avec d’abondants petits cristaux de feldspath. Elle affleure au ras du sol.

En 1852, dans ses chroniques du Livradois, l’Abbé Grivel l’appelle « pierre de Gargantua » :

« C’est dans cette paroisse qu’on voit, entre Mons et Chambon, au village de Malvieille, ou Malviel, la pierre de Gargantua, sur laquelle le monstre géant posait un pied, et d’une enjambée arrivait aux montagnes de Valcivières. »

En réalité, il semble s’agir d’un site composé de plusieurs mégalithes, comme le fait remarquer Jean Olléon, dans « Mégalithes et traditions religieuses et populaires en Livradois et Forez », car on pourrait y retrouver alentours :

  • « Le demi-pas de Gargantua » (empreinte en forme de pied beaucoup plus petite que le Pas de Gargantua).
  • « Les poings de Gargantua » (deux empreintes en forme de poing sur deux rochers se trouvant l’un en face de l’autre).
  • « La tabatière » (pierre à cupules, située dans un marécage).
  • « Le chapeau ».

Apparemment, tous ne sont pas faciles à retrouver, car envahis par la végétation.

L’auteur évoque le souvenir des locaux à propos de « pierres en forme de siège où le jeu des enfants consistait à aller s’asseoir comme sur un trône ».

Gargantua est une figure bien plus ancienne que le géant de Rabelais. Son origine remonterait vraisemblablement à une haute antiquité. C’est un sujet qui serait trop long à traiter ici et si cela vous intéresse, vous pouvez lire « le vrai Gargantua » de Guy-Édouard Pillard, aux éditions Imago.

La légende locale : un géant errant et faucheur

On regroupe par thèmes précis les activités de Gargantua dans la tradition populaire. On distingue :

  • un Gargantua des monts,
  • un Gargantua des pierres
  • et un Gargantua des eaux.

Bien que certaines activités de Gargantua ne puissent être rangées dans ces catégories, comme c’est le cas du nôtre.

La légende locale rapporte que :

« Le géant Gargantua, au cours de ses pérégrinations, enjambait une vallée à chaque pas et posait son pied au sommet des collines. Un jour, alors qu’il venait de l’ouest, il posa son pied sur Le Mont-Dore, sur la Dételée et sur cette pierre où il laissa son empreinte.

Il était aussi capable, lorsqu’il était assoiffé, d’assécher les ruisseaux.

Mais c’était aussi un bon géant et il lui est parfois arrivé de dresser des pierres afin d’aiguiser sa faux dont il faisait usage pour aider les paysans et qui sont restées là, plantées. » (Jean Olléon, dans  « Mégalithes et traditions religieuses et populaires en Livradois et Forez »).

J’avoue que cette capacité à assécher les ruisseaux me rappelle furieusement ce bon vieux Bran-le-Béni et l’arbre auquel il est associé : l’aulne ! Non ?

Une eau guérisseuse

Toujours d’après l’enquête effectuée par Jean Olléon, les gens de la région affirment : « avoir toujours vu de l’eau dans le Pas de Gargantua quelle que soit la saison et même en période de sécheresse ».

Or ce genre de pierres à cupules qui restent remplies d’eau de pluie toute l’année sont considérées comme possédant des pouvoirs guérisseurs.

Olléon cite Pierre Ribon, dans  « les Pierres qui guérissent » :

« L’eau qu’on trouve dans les cupules est guérisseuse au même titre que celle des sources et des rivières. Curieusement ces cupules restent remplies d’eau de pluie à longueur d’années, parfois même en période de sécheresse. »

La Mauvaise Vieille

Comme je le disais en préambule, le lieu-dit m’a interpellé. Le site se trouve près du hameau de Malvieille, ou comme l’appelait l’abbé Grivel, Malviel.

Il semble donc que nous ayons affaire à une mauvaise vieille ou un mauvais vieux. Mais il vaut mieux vérifier une interprétation a priori.

Je suis tombée sur plusieurs explications. Certains peuvent interpréter Malviel par mauve (malva sylvestris) ou la Malvieille par mauvais village. Mais l’interprétation la plus évidente reste « mauvais vieillard », de l’occitan (l’auvergnat est un dialecte occitan) mal viel.

Ce nom confirme l’ancienneté et l’authenticité du site (nul géant inventé ici par un office du tourisme peu scrupuleux).

En effet, nous retrouvons cette Vieille près de bien des sites préhistoriques et mégalithiques, elle fait partie de notre paysage et de notre folklore.

La Vieille, c’est la femme du géant. Géante elle-même. J’avoue que je me demande si elle n’a pas été supplantée par Gargantua ? Dans le cas qui m’occupe, le nom de Gargantua est-il antérieur à cette Mal Vieille ? Et d’un point de vue plus étendu ?

Cette géante crée, entre autres choses, des monuments mégalithiques (mais aussi des rivières, etc.).

La figure de la Vieille semble très ancienne et nous la retrouvons un peu partout en Europe. Par exemple dans le paysage et ses toponymes, mais aussi à travers les traditions populaires, les mythes et les légendes, ou encore dans des lexèmes (liés à la faune, la flore, les phénomènes climatiques type arc-en-ciel, canicule, neige, lune… Voir Lee Froissard).

Pour ne citer que quelques exemples… Qui ne connaît pas, par exemple la cailleach ? En Écossais, en irlandais et en mannois, le terme Cailleach signifie sorcière/vieille femme. La vieille femme ou sorcière est également présente au pays de Galles sous la dénomination de gwrach. En cornique gwragh. Et à rapprocher de gwracʼh en breton, groach en moyen breton.

Une groac’h est une fée bretonne liée à l’eau. Elle est protéiforme, bien que souvent vieille et nocturne. Surtout connue comme étant malveillante. En Basse-Bretagne, des toponymes de mégalithes sont d’ailleurs attribués à une « groac’h ».

« L’origine de ces fées appartenant à l’archétype de ‘la Vieille’ est à rechercher dans des divinités féminines antiques diabolisées avec le christianisme.  » Wikipédia.

Dans son dictionnaire provençal-francais, Frederic Mistral nous donne une définition de la vieille assez intéressante. La Vieille (ou la Vièio) est le nom par lequel le peuple de Provence désigne la nature ou l’antique Cybèle.

Le sujet est passionnant ! Et si tu veux l’explorer voici quelques ressources que j’augmenterai au fil de mes recherches et découvertes.

Localisation : Puy-de-Dôme, à Chambon-sur-Dolore (près d’Ambert), lieu-dit « Malvieille ». Altitude 1080 mètres.

RESSOURCES :

  • Jean Olléon, dans « Mégalithes et traditions religieuses et populaires en Livradois et Forez »). Le livre qui m’a permis de découvrir plusieurs sites mégalithiques près de chez moi et que j’ai pillé sans vergogne pour te parler du Pas de Gargantua.
  • Paul Sébillot. Gargantua dans les traditions populaires. Vous pouvez télécharger le PDF ou l’EPUB gratuitement sur le site de l’arbre d’or.
  • Les bulletins de la Société Française de Mythologie sont une mine d’or sur Gargantua. Beaucoup plus riches que le bouquin de Sébillot. A défaut de se les procurer, on peut toujours lire les articles en ligne, qui sont intéressants.
  • Guy-Édouard Pillard. « Le vrai Gargantua », éditions Imago. (Je suis en train de le lire, cela me semble sérieux et j’apprends plein de choses.) Pour info, Guy-Edouard Pillard a été vice-président de la Société de mythologie française.
  • Le site de la Vieille. Dédié à la Vieille. Un site à l’ancienne avec des gifs rigolos et un peu olé olé qui tournent et tout et tout… Mais dont les références et la base de données sont excellentes.
  • Une pierre à cupules, à bassin, etc. Concrètement, quoi t’est-ce ? Si tu ne le sais point, va t’instruire ici : http://escotal.fr/bassin.html
  • Sur les fées bretonnes vieilles et moches, l’article de Wikipédia est très intéressant.
  • Soutou André. Toponymie, folklore et préhistoire : Vieille Morte. In: Revue Internationale d’Onomastique, 6e année N°3, Septembre 1954. pp. 183-189. Plein de choses super intéressantes sur la figure de la Vieille. Morte ou pas.
  • Et pour en apprendre davantage sur la Vieille au Royaume-Uni et en Irlande (mais pas seulement), tu peux lire Lee Froissard : La Vieille dans la toponymie du Royaume-Uni et de l’Irlande : trace d’un ancien culte voué à la Nature ? C’est son mémoire de master 2 en linguistique (2014). Son mémoire tend à démontrer l’existence d’une déesse-mère préhistorique symbolisant la Nature appelée : la Vieille. Bref, il en est ! Il a écrit un livre : « la Déesse avant Dieu », et tu peux l’acheter via le propriétaire du site de la Vieille dont je parle plus haut (la.vieille@free.fr). Je crois qu’il a un tome 2 en route, à moins qu’il ne soit déjà sorti.
  • Le pas de Gargantua sur Mégalithes du monde. Je le mets là à tout hasard si tu veux te rendre sur place. Et si tu passes dans le coin, n’hésite pas à venir boire un petit verre de vin de sureau à la maison.

J’ai piqué la photo du bouquin de Jean Olléon, elle est moche, mais on voit mieux « l’empreinte » que sur la photo d’en-tête (piquée quant à elle au journal « la Montagne). 

Dame Abonde

Fleur de Sureau pour le coven Ignis Daemonis. Dans le cadre du cours sur Iphin (2016).

Pour l’époque des Premières Récoltes, notre aînée Mut Danu, dans son livre The Tree Mothers, nous oriente vers la Déesse Habondia. A partir de ce nom, j’ai effectué des recherches sur internet pour trouver des ressources bibliographiques, je suis tombée essentiellement sur des inventions modernes. J’ai donc choisi de partir sur l’idée d’une divinité liée à l’abondance issue de l’Antiquité.

Et dans le panthéon romain, j’ai découvert la Déesse Abondance.

Dans le contexte du culte impérial de la Rome Antique, Abondance (notez bien : Abundantia en latin) est la personnification allégorique de l’abondance et de la prospérité. La déesse Abondance incarne l’une de ces nombreuses « vertus » associées aux empereurs déifiés. Elle est souvent confondue avec Annone (Annona) qui présidait aux vivres, au produit de la récolte annuelle. Ces deux-là sont inspirées de déesses plus anciennes, notamment de Cérès (Ceres), la déesse de l’agriculture et des moissons, dont elles partagent les attributs : corne d’abondance, épis de blé, etc. Il existe une différence subtile entre Annone et Abondance. La première semble concernée les distributions publiques de nourriture, de provisions de grain de l’année, alors que la seconde concerne également l’argent.

Mais ce nom, « Habondia » d’où sort-il ?

Le dictionnaire Littré nous apprend qu’Abonde, ou plus précisément Dame Abonde, est la principale des fées bienfaisantes. Du bas latin, abundia.

Nous y voilà. Dame Abundia. Habondia. La Fée Abonde.

Avec ces mots-clefs, j’ai trouvé une infinité de textes qui s’accordent tous à dire, en résumé, que :

Dame Habonde est à la tête de troupes féminines qui parcourent l’espace de nuit et visitent maisons et celliers. Sur la table, on dispose à leur intention mets et boissons, qui ne doivent être ni couverts ni bouchés. Si ces femmes que l’on nomme Bonnes Dames ou Dames de la Nuit, c’est-à-dire des Fées, des créatures féeriques, trouvent la table bien servie, l’endroit bien propre, elles mangent le festin sans pour autant en diminuer la quantité et en contrepartie apportent abondance et bonheur à la maisonnée. Dans le cas contraire, « l’abondance quitte la demeure » au sens propre comme au figuré !

Durant le moyen-âge, il existe de nombreuses légendes à propos de cohortes nocturnes menées par un Esprit féminin : Dame Abonde, mais aussi Diane1, Hérodiade et encore, chez les Allemands, Holda (la « bienveillante »).

Notons tout de même qu’entre la déesse romaine Abondance issue du culte impérial et la fée Abonde, nous avons effectué un saut dans le temps de mille ans. Et il est d’ailleurs plus que probable que le seul lien qui les rattache l’une à l’autre ne réside qu’en leur nom.

L’un des plus anciens écrits à notre connaissance à propos de Dame Abonde date du XIII e siècle. Guillaume d’Auvergne (1190-1249), évêque de Paris, dans Opera Omnia (Paris 1674, tome I, page 1036, col. 2) évoque des esprits féminins bienfaisants :

« […] Il en va de même du démon qui, sous l’apparence d’une femme, visite la nuit, en compagnie d’autres, dit‐on, les maisons et les celliers. On le nomme Satia, d’après ‘satiété’, et aussi Dame Abonde, à cause de l’abondance qu’on dit qu’il confère aux maisons qu’il aura visitées. C’est ce genre de démon que les vieilles appellent ‘les Dames‘, à propos desquelles elles entretiennent cette erreur à laquelle elles sont les seules à croire et dont elles rêvent. Elles disent que les dames usent de la nourriture et des boissons qu’elles trouvent dans les maisons sans toutefois les consommer entièrement, ni même en diminuer la quantité, surtout si les récipients qui contiennent les mets sont découverts, et si ceux qui renferment les boissons ne sont pas bouchés2, quand on leur laisse pour la nuit. Mais si elles trouvent ces récipients couverts, fermés ou encore bouchés, elles ne touchent ni aux mets, ni aux boissons, et c’est la raison pour laquelle les dames abandonnent ces maisons au malheur et à l’infortune sans leur conférer satiété ni abondance. […] »

« […] En ce qui concerne les véritables personnes qui apparaissent la nuit dans les maisons et dont la plus importante d’entre elles est nommée « Abonde » en raison de l’abondance de biens qu’elle est supposée apporter dans les maisons qu’elle fréquente, elles n’ont jamais été vues, pas plus qu’elles n’ont été entendues. C’est ainsi qu’on voit jusqu’où va la bêtise des hommes et la déraison des vieux qui laissent des récipients d’aliments et des vases de vin ouverts et ne ferment aucun passage à ceux qui visitent les maisons la nuit. Ils laissent en évidence boissons et nourriture que les visiteurs peuvent s’approprier sans difficulté et selon leur bon plaisir. […] »

Dans le Roman de la Rose, il est également fait mention de Dame Habonde. Il s’agit d’une œuvre poétique datant du XIIIe siècle, écrite par Guillaume de Lorris et Jean de Meung.

« Bien des gens sont trompés par leurs sens et croient être des sorcières (estries) errant avec Dame Habonde : « Ils disent que, par tout le monde, le tiers des enfants de la nation sont de cette condition et partent, trois fois la semaine, là où le destin les mène », entrent dans les maisons, car ni barres ni clés ne les arrêtent, et ils pénètrent par les chatières et les fentes : leur âme quitte leur corps (se partent des corps les âmes) et ils accompagnent les Bonnes Dames en d’autres lieux et dans les maisons alors que leurs corps reste sur leur lit. »

Cette table d’offrandes que l’on dresse la nuit est un rituel qui a pour but de rendre favorable une divinité que l’on désire honorer. C’est un type de rituel qui semble remonter à des temps plus anciens et dont nous possédons au moins deux traces antérieures au XIII e siècle.

Au VII e siècle, dans La Vie de Saint Éloi, écrit par Saint Ouen de Rouen, le prédicateur interdit aux croyants de préparer les tables pendant la nuit, sans préciser cependant à l’attention de qui on les dresse.

Au XI e siècle, Burchard de Worms dans son Decretum réitère cette interdiction. D’après Cyrille Vogel, Le Pécheur et la pénitence au Moyen Age, Paris, Cerf, 1969, p. 105 :

« 153. As-tu agi comme certaines femmes à certaines époques de l’année : quand elles préparent la table, les aliments et la boisson, elles placent trois couteaux sur la table pour que les trois sœurs que les anciens dans leur sottise ont appelé les Parques puissent se restaurer. Ces femmes dénient la puissance à la bonté divine et l’attribuent au diable ! As-tu cru que ces trois sœurs, comme tu dis, pouvaient t’être de quelques secours maintenant ou plus tard ? Si oui : 1 an de jeûne au pain et à l’eau, aux jours officiels. »

Claude Lecouteux établit même un lien entre ces tables nocturnes d’offrandes et un rite romain lié aux ancêtres dans son livre Chasses infernales et cohortes de la nuit au Moyen Age :

« Le passage de cette cohorte de femmes est lié à un rite de troisième fonction et relève des augures : si les visiteuses sont satisfaites des nourritures offertes, elles apportent à la demeure prospérité et fécondité. A l’arrière-plan se dessine donc un rite calendaire appartenant à la mythologie des commencements : ce qui arrive à cette date préfigure ce que sera l’an neuf. Le rite reçoit une signification plus grande si l’on sait qu’il est déjà attesté chez les romains. Dresser une table cette époque de l’année est un rite religieux lié au culte des ancêtres, car les morts sont les dispensateurs de la fertilité du sol et de la fécondité des hommes et des bêtes : à Rome, la table portait le nom de « tables des âmes » ou « des défunts ». »

Dame Habonde passe-t-elle dans les maisons uniquement aux alentours du Solstice d’Hiver, durant les 12 nuits ou lors des Calendes de Janvier ? Je ne suis pas vraiment parvenue à trouver des indices si ce n’est dans un texte du XV e siècle, Thesaurus pauperum de 1468, qui établit un lien entre Abonde, Satia et Percht :

« Le second type de superstition, une sorte d’idolâtrie, est celle de ceux qui, la nuit, exposent ouverts des récipients remplis de nourriture et de boisson destinées aux dames qui doivent venir, dame Abonde et Satia, que le vulgaire désigne communément et couramment du nom de dame Percht ou Perchtum, cette dame venant avec sa troupe. Ceci, pour qu’elles trouvent ouverts tous objets tenant à la nourriture et à la boisson, afin que, par la suite, elles les remplissent et les accordent richement et en plus grande abondance. Beaucoup croient que c’est pendant les nuits saintes, entre la naissance de Jésus et la nuit de l’épiphanie, que ces dames, à la tête desquelles est dame Perchta, visitent leurs demeures. Nombreux sont ceux qui, au cours de ces nuits, exposent sur les tables pain, fromage, lait, viandes, œufs, vin, eau et denrées de cette sorte, de même que cuillers, plats, coupes, couteaux et autres objets semblables, en vue de la visite de dame Perchta et de sa troupe, pour qu’elles y trouvent agrément et que, par conséquent, elles soient propices à la prospérité de la demeure et à la conduite des affaires temporelles.»

Cette table nocturne d’offrandes semble ainsi faire partie d’un ensemble de croyances et de pratiques propitiatoires et de fertilité liées notamment aux moments charnières du cycle solaire. A travers elles, on cherche à attirer les bénédictions d’esprits bienveillants : c’est-à-dire à attirer l’abondance, la fécondité, la générosité et le renouvellement des fruits de la terre.

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Sources :

    • Claude Lecouteux. Chasses infernales et cohortes de la nuit au Moyen Age. Éditions Imago, 2013.
    • Stamatios Zochios. Le cauchemar mythique : Étude morphologique de l’oppression nocturne dans les textes médiévaux et les croyances populaires. Littérature. Université Grenoble Alpes, 2012. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01211444/document
    • Littré, Émile. Dictionnaire de la langue française. Paris, L. Hachette, 1873-1874. Version électronique crée par François Gannaz. http://www.littre.org
    • Guillaume d’Auvergne. Opera Omnia. Paris, 1674.
    • Dictionnaire universel françois et latin : contenant la signification et la définition… des mots de l’une et de l’autre langue… la description de toutes les choses naturelles… l’explication de tout ce que renferment les sciences et les arts…. Tome 5. T-Zupain. ÉditeursF. Delaulne (Trévoux), H. Foucault (Paris), M. Clousier. 1721. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k50966d
    • Mangeart, Thomas. Introduction à la science des médailles… ouvrage propre à servir de supplément à « l’Antiquité expliquée » par Dom Montfaucon. Par Dom Thomas Mangeart. Jacquin, Armand-Pierre (1721-1780). Éditeurd’Houry (Paris). 1763. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1041707w#
    • Guillaume de Lorris et Jean de Meung. Le Roman de la Rose. Tome 2. Édition faite sur celle de Lenglet-Dufresnoy, corrigée avec soin et enrichie de la dissertation sur les auteurs… de l’analyse, des variantes et du glossaire publiés en 1737 par J.-B. Lantin de Damerey. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65092264
    • Saint Ouen de Rouen. Vie de saint Éloi, évêque de Noyon et de Tournai. précédée d’une introduction et suivie d’une monographie de l’abbaye du Mont-Saint-Éloi (2e édition, ornée de deux belles gravures sur acier) ; traduite et annotée par M. l’abbé Parenty. ÉditeurJ. Lefort (Lille), 1870. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k102695k

1 Pour Claude Lecouteux (cf. Chasses infernales et cohortes de la nuit au Moyen Age), Diana n’est pas la Diane romaine mais, s’appuyant sur Martin de Braga, suppose qu’il s’agisse de la « déesse sylvestre et champêtre adorée par les paysans du Ve-Vie siècle ». Il évoque une possible confusion entre la Diane antique et la Di Ana, déesse celtique, aussi appelée Anu.

2 Pour Claude Lecouteux, nous sommes en présence d’une coutume païenne car la Bible dit : « Le récipient qui n’aura pas été fermé par un couvercle ou un lien sera impur. »

Peinture : The fairy banquet (le banquet des fées), peinture de John Anster Fitzgerald, 1859.