Démythifier la Déesse Blanche : une lecture critique de Robert Graves

Dans notre tradition, La Déesse blanche de Robert Graves est une source d’inspiration poétique et symbolique, non un manuel historique. Nous reconnaissons la puissance évocatrice de son œuvre, tout en gardant à l’esprit ses limites méthodologiques. C’est dans cette optique que nous partageons ici le regard critique de James R. Lewis, extrait de son encyclopédie Witchcraft Today. Ce texte ne cherche pas à invalider la richesse intuitive de Graves, mais à rappeler que son approche relève avant tout du mythe littéraire, plutôt que de la reconstitution historique. Notre voie se dessine à travers le langage des symboles, la sagesse des figures archétypales et la lumière discrète des vérités intérieures.

Par James R. Lewis, extrait de son livre Witchcraft Today An Encyclopedia of Wiccan and Neopagan Traditions. Traduction par Fleur de Sureau

Une source majeure de l’engouement actuel pour une période matriarcale ancienne dans l’histoire est La Déesse blanche de Robert Graves. En effet, la plupart des écrits féministes sur le sujet tentent de soutenir les arguments de Graves. Cependant, les preuves et les raisonnements qu’il utilise dans le livre ne conduisent tout simplement pas aux conclusions qu’il en tire. En réalité, la démarche de Graves relève entièrement d’un plaidoyer particulier : il met en avant les éléments qui favorisent l’idée d’une ancienne religion de la Déesse et tente de minimiser ou d’expliquer les preuves contraires. Par conséquent, bien qu’environ la moitié des informations dans La Déesse blanche soient valables, l’autre moitié est déformée par les efforts de Graves pour faire entrer ces données dans sa théorie préconçue. Ainsi, La Déesse blanche ne peut pas être utilisée pour reconstruire fidèlement les religions anciennes, quelles qu’elles soient.

Objectivement, La Déesse blanche, tout comme les tentatives de Graves pour reconstituer l’histoire du christianisme, est une compilation d’idées proposées par des chercheurs du XIXe et du début du XXe siècle. Ces théories ont été mises à l’épreuve, jugées inadéquates, puis abandonnées. Certains écrivains féministes insinuent (et parfois déclarent explicitement) que ces chercheurs ont rejeté les idées « féministes » parce qu’ils auraient, consciemment ou non, supprimé la véritable importance des femmes dans l’histoire.

Graves a fait de son mieux pour cacher qu’il s’appuyait sur des théories déjà rejetées par la majorité des chercheurs traditionnels. Il est vrai qu’au moment de la rédaction de La Déesse blanche, dans les années 1940, il existait encore une faible possibilité que la culture pré-hellénique en Grèce ait été matriarcale, matrilocale et matrilinéaire, comme Graves l’imaginait. Mais, au cours des trois décennies suivantes, l’archéologie moderne en Méditerranée et les disciplines alliées ont considérablement progressé pour démontrer que la Grèce, entre 2500 et 1500 av. J.-C., était un avant-poste de la culture mésopotamienne. Cette culture partageait les langues, l’architecture, l’économie et, sans doute, les structures sociales des sociétés découvertes à Ugarit et dans d’autres sites autour de la Méditerranée. À la lumière de ces données, il faut supposer que les Grecs avaient le même type de croyances polythéistes que les habitants de ces autres sites, les déesses étaient certes importantes, mais rien n’indique qu’une seule déesse ait été la divinité dominante.

Quiconque connaît les travaux de Georges Dumézil pourrait remarquer que Graves avait raison de percevoir l’existence d’un schéma tripartite dans les mythes des déesses, mais il se trompait en pensant que ce schéma était antérieur aux Indo-Européens. Une déesse triple faisait clairement partie du panthéon indo-européen.

De plus, la théorie selon laquelle une période merveilleuse, matriarcale et agricole en Europe aurait été détruite par d’affreux envahisseurs patriarcaux parlant des langues indo-européennes au cours du deuxième millénaire av. J.-C. est aujourd’hui abandonnée. L’article de Sir Colin Renfrew, The Origins of Indo-European Languages, publié dans le numéro d’octobre 1989 de Scientific American, rapporte que le consensus parmi les préhistoriens est que la langue parlée par les populations ayant répandu l’agriculture en Europe entre 8000 et 2000 av. J.-C. était très probablement indo-européenne. Donc, si les Indo-Européens ont apporté l’agriculture en Europe, les pré-Indo-Européens ne pouvaient pas être des agriculteurs.

Les sorcières pensent généralement, à tort, que La Déesse blanche fournit des preuves indépendantes de l’existence de cultes sorciers « murrayiens » au Moyen Âge. Peu de références à [Margaret] Murray apparaissaient dans la première édition de 1948, qui était beaucoup plus courte. Enfin, il faut noter que Graves n’était pas une autorité indépendante, mais faisait partie du cercle restreint autour de [Gerald B.] Gardner ; Graves était un bon ami d’Idries Shah, qui aurait même été un initié du coven londonien.

Lectures complémentaires :

  • Graves, Robert. “An Appointment for Candlemas.” Magazine of Fantasy and Science Fiction (février 1957). L’existence de cette nouvelle montre que Graves faisait partie de la campagne de mythification de Gardner dès 1956.
  • The White Goddess: A Historical Grammar of Poetic Myth, 3d ed. New York: Farrar, Straus and Giroux, 1968 [1948].
  • Hutton, Ronald. The Pagan Religions of the Ancient British Isles: Their Nature and Legacy. Cambridge, MA: Blackwell, 1991.
  • Renfrew, Colin. “The Origins of Indo-European Languages.” Scientific American (October 1989): 106–114.

À propos du calendrier lunaire des arbres

Au sein de notre tradition, l’Apple Branch, nous suivons un calendrier singulier. Certains le trouvent inspirant, d’autres restent sceptiques, et c’est bien normal. Avant de proposer quelques pistes de travail pour celles et ceux que ça intéresse, il me semble important de poser quelques précisions… qu’on pourra ensuite laisser derrière nous.

Le calendrier celtique des arbres que je prépare chaque année pour le Cercle Faerie Faith a été rebaptisé « Calendrier lunaire des arbres ». Il reste néanmoins basé sur le même assemblage symbolique :

  • les mois lunaires,
  • les oghams
  • et les arbres selon la tradition de l’Apple Branch.

Cette structure provient du travail poétique de Robert Graves, dans La Déesse Blanche. Il est bon de rappeler que son approche est avant tout littéraire, et que notre tradition ne s’inscrit pas dans une démarche reconstructionniste païenne. Nous sommes des sorcières issues d’une tradition initiatique et notre lignée a été fondée par Bendis dans les années 2000.

Développons certains points.

📖 Robert Graves — La Déesse Blanche, pierre d’inspiration

Ce livre est une référence fondamentale dans notre tradition Apple Branch. Si vous souhaitez comprendre l’origine des éléments celtisants de notre système, ainsi que certaines correspondances, il est incontournable.

⚠️ Cela dit, il faut l’aborder avec discernement : Graves ne propose pas une vérité historique mais une vision poétique. Son œuvre est profondément controversée, notamment par son approche intuitive et ses reconstructions mythiques souvent non fondées. Ce qui nous intéresse ici, c’est sa puissance symbolique et sa capacité à tisser des liens entre nature, mystère, et inspiration.

🌿 Une tradition contemporaine, pas reconstructionniste

Notre système initiatique s’inspire du calendrier des arbres décrit dans La Déesse Blanche, mais il le réinvente dans le cadre d’un syncrétisme sorcier celtisant moderne. Nous ne prétendons pas recréer une tradition païenne antique : Nous sommes des sorcières issues d’une tradition initiatique.

Notre lignée hérite notamment :

  •  de la McFarland Tradition,
  • de la Faerie Faith,
  • et aussi, même si cela me concerne peu personnellement, de la Dianic Wicca de Zsuzsanna Budapest, dans laquelle Bendis a été initiée avant de fonder l’Apple Branch. Ce que nous faisons fonctionne, non pas parce que c’est historiquement exact, mais parce que c’est vivant, inspiré, et incarné. Et c’est bien tout ce qui compte.

🌘 Pour conclure

Notre héritage puise dans plusieurs courants : la tradition McFarland et la Faerie Faith, qui ont semé les bases de notre calendrier. La tradition de Budapest, que je cite ici par souci d’honnêteté, bien que je ne partage ni ses opinions ni son approche.

Ce calendrier n’est ni historique, ni véritablement païen, mais il est profondément symbolique. Il s’est développé avec McFarland et Mark Roberts dans les années 70 et continue d’évoluer dans notre pratique contemporaine.

L’article suivant, de Linda Kerr, traduit par Fleur de Sureau, vous donnera des pistes de travail pour utiliser ce calendrier selon la tradition Faerie Faith :

FAERIE FAITH 101: Qu’est-ce que le Calendrier Celtique des Arbres ?

 

T pour Tinne [La Déesse Blanche]

T pour TINNE

Extrait de l’Alphabet des Arbres, La Déesse Blanche. Robert Graves.

Le huitième arbre est le houx qui fleurit en juillet. Le houx apparaît dans Le Roman de Gawain et du Roi Vert initialement irlandais. Le roi vert est un géant mortel dont la massue est une bûche de houx. Lui, et Sir Gawain qui apparaît dans la version irlandaise sous le nom de Cuchulain, Hercule typique, font le pacte de se décapiter l’un l’autre chaque Nouvelle Année (c’est-à-dire au solstice d’été et au solstice d’hiver). Mais en réalité le chevalier du houx épargne le chevalier du chêne. Dans le Mariage de Sir Gawain, ballade de Robin Hood, le roi Arthur qui, en l’occurrence, trône à Carlisle, dit :

Comme j’arrivais de sur une mer
Je vis une femme assise
Entre un chine et un houx vert.
Elle était vêtue de rouge.

Cette femme, dont on ne mentionne pas le nom, est sans doute la déesse Creiddylad pour qui, dans le mythe gallois, le chevalier du chêne et le chevalier du houx devaient combattre chaque 1er mai jusqu’au jugement dernier. Comme, dans la version médiévale, saint Jean Baptiste, qui perdit sa tête à la Saint-Jean*, avait assumé les titres et coutumes du roi du chêne, il fut naturel de faire de Jésus, en tant que successeur généreux de Jean, celui qui assumerait ceux du roi du houx. Le houx était ainsi glorifié au-dessus du chêne. Par exemple, dans le Poème du Houx :

« De tous les arbres qui sont dans la forêt
Le houx porte la couronne. »

L’affirmation procède d’une phrase du Chant des Arbres de la Forêt :

« De tous les arbres, où qu’ils soient, le meilleur, sans contredit, est le houx ».

Dans chaque strophe du poème suivie du court refrain sur « le lever du Soleil, la course du cerf », l’auteur met en parallèle telle ou telle propriété de l’arbre avec la naissance ou la passion de Jésus : le blanc de la fleur, le rouge du fruit, le pointu des piquants, la solidité du tronc. « Houx » (holly) veut donc dire « saint » (holy). Et pourtant, ce n’est pas le houx, originaire des Îles Britanniques, qui dut figurer parmi les arbres de l’alphabet originel. Il a probablement remplacé le chêne vert avec lequel il a de nombreux points communs, y compris le même nom botanique ilex. Ce chêne vert ne fut pas introduit dans les Îles Britanniques, avant le XVIe siècle. C’est l’yeuse, chêne du kermès ou chêne-houx, qui serait donc le jumeau toujours vert du chêne ordinaire ; du reste ses noms en grec classique, prinos et hysge, servent aussi à désigner le houx en grec moderne. Il possède des feuilles acérées et abrite le kermès, insecte écarlate qui ne serait pas sans évoquer le fruit du houx au point d’être parfois pris pour lui et dont les Anciens tiraient leur teinture rouge royale et un élixir aphrodisiaque. Dans la « Version Autorisée » de la Bible, le mot « chêne » est parfois traduit par »térébinthe » et parfois par « chêne rouge » et ces arbres forment une paire sacrée dans la religion palestinienne. Jésus porta du rouge de kermès lorsqu’il fut habillé en roi des Juifs (Matthieu XXVII, 28).

Nous pouvons considérer les lettres D et T comme jumelles : « garçons blancs comme lis, habillés tout en vert, oh ! » du poème médiéval Les Joncs Verts. D est le chêne qui gouverne I» partie croissante de l’année, le chêne sacré druidique, le chêne du Rameau d’or. T est le chêne vert qui gouverne la partie décroissante de l’année, le chêne sanglant : c’est ainsi qu’un bosquet de chênes verts, près de l’Asopus corinthien, avait été consacré aux Furies. Le mot celtique Dann ou Tann, l’équivalent de Tinne, désigne n’importe quel arbre sacré. En Gaule et en Grande-Bretagne il signifie « chêne », en celtique germain il signifie « sapin », en Cornouaille le composé glas-tann (« arbre vert sacré ») désigne l’yeuse et le mot « tanner » vient de l’emploi de son écorce en tannerie. Cependant, dans l’Italie ancienne, c’était le houx et non le chêne vert dont se servaient les paysans au cours de leurs saturnales du solstice d’hiver. Tannus était le nom du dieu-Tonnerre gaulois et Tina celui du dieu-Tonnerre, armé de l’éclair triple, que les Étrusques avaient emprunté aux tribus goïdéliques parmi lesquelles ils s’étaient installés.

L’assimilation d’un Jésus pacifique au houx et au chêne-houx doit être considérée comme poétiquement inepte : sauf au moment où il déclare qu’il est venu apporter non la paix mais la discorde. C’était le taniste qui exécutait originellement son jumeau : il crucifiait le roi du chêne, et non le roi du houx, sur une croix en forme de T. Dans son Procès à la cour des Voyelles (vers 160 de notre ère), Lucien est explicite :

Les hommes pleurent et se lamentent sur leur sort et maudissent Cadmus d’innombrables malédictions pour avoir introduit le Tau dans la famille des lettres. Ils disent que c’est son corps que les tyrans ont pris comme modèle, et sa silhouette qu’ils ont imitée lorsqu’ils ont adopté la forme des bois sur lesquels on crucifierait les hommes. C’est le stauros que l’on nomme le vil instrument, et ce nom vient de lui. A présent, chargé de tous ces crimes, ne mérite-t-il pas la mort, non, plusieurs morts ? Pour ma part, je ne connais rien d’assez méchant, mais sa propre silhouette y pourvoira, cette silhouette qu’il a donnée au gibet que les hommes ont dénommé stauros, d’après son nom.

Et, dans un Évangile gnostique de Thomas, composé à peu près à la même époque, le même thème se présente dans une dispute entre Jésus et son maître d’école au sujet de la lettre T. Le maître frappe Jésus sur la tête et prophétise la crucifixion. Au temps de Jésus, le caractère hébraïque Tav, dernière lettre de l’alphabet, avait la forme du Tau grec.

Le houx gouverne le huitième mois et huit, en qualité de nombre de la croissance, est bien celui qui convenait au mois de la moisson de l’orge qui s’étend du 8 juillet au 4 août.

H pour Uath [La Déesse Blanche]

Extrait du livre « Les mythes celtes, la Déesse Blanche » par Robert Graves

Le sixième arbre est l’aubépin ou épine blanche de mai qui emprunte une partie de son nom au mois de mai. On le considère en général comme un arbre maléfique et le nom sous lequel il apparaît dans les lois irlandaises de Brehon, sceith, semble appartenir à la même famille que la racine indo-germanique sceath ou scèth signifiant « nuisance » dont provient l’anglais scathe et le grec a-scethe, « sans dommage, sain et sauf ». Dans l’ancienne Grèce, comme en Grande-Bretagne, pendant ce mois- les gens se promenaient en vieux vêtements (coutume à laquelle fait allusion ce proverbe « en avril, ne te découvre par d’un fil » signifiant : « ne porte pas de vêtements nouveaux tant que le mois maléfique n’est pas terminé » ; et il ne faut pas croire que cela fasse référence au climat variable anglais, car le proverbe a cours également dans le Nord de l’Espagne où, généralement, Pâques amène le beau temps. On doit également s’abstenir de rapports sexuels, coutume justifiant que mai passe pour ne pas porter chance aux mariages. En Grèce et à Rome, c’était en mai que l’on nettoyait les temples et qu’on lavait les images des dieux : c’était le mois de préparation à la fête solsticiale. Bien que la poésie anglaise la décrive comme toujours jeune et belle, la déesse grecque Maïa tirait son nom de maia, « grand-mère ». Il s’agissait d’une vieille malfaisante dont le fil Hermès conduisait les âmes aux Enfers. C’était bien la Déesse Blanche qui, sous le nom de Cardéa, comme il a été expliqué, jetait des charmes par le truchement de l’aubépin. Avant que ne commence ce mois malchanceux, les Grecs allumaient cinq torches d’aubépin et de fleurs d’aubépine pour se la rendre propice lors des mariages célébrés à ce moment de l’année, car on pensait qu’ils déplaisaient à la déesse.

Dans ses Questions romaines, Plutarque pose la question : « Pourquoi les Romains ne se marient-ils pas au mois de mai ?  » et il propose la réponse correcte : « La raison n’en serait-elle pas qu’on célèbre en ce mois les plus grandes cérémonies de purification ? » Il explique que c’était le mois au cours duquel on lançait au fleuve des mannequins appelés argeioi, « les hommes blancs » comme s’il s’agissait d’une offrande à Saturne. Dans ses Fastes, Ovide parle d’un oracle que lui avait donné une prêtresse de Jupiter au sujet du mariage de sa fille : « jusqu’aux ides de juin (milieu du mois), il n’y aura pas de chance pour les épousées ni pour leurs maris. Jusqu’à ce que les ordures du temple de Vesta aient été charriées à la mer par le Tibre jaune, je ne dois pas peigner mes boucles, que j’ai d’ailleurs coupées en signe d’affliction, ni tailler mes ongles, ni cohabiter avec mon mari bien qu’il soit le prêtre de Jupiter. Ne sois donc pas pressé. Ta fille rencontrera une meilleure chance en mariage quand le feu de Vesta brûlera dans un foyer purifié ». Les jours malchanceux se terminaient le 15 juin. En Grèce, le mois malheureux commençait et finissait un petit peu plus tôt. D’après Sozomen de Gaza, un historien ecclésiastique du Ve siècle, la fête du térébinthe à Hébron était célébrée à la même époque et avec les mêmes tabous sur les vêtements neufs et la sexualité et dans le même but : le nettoyage et la purification des images saintes.

Dans la mythologie galloise, l’aubépin apparaît comme le chef malfaisant des géants. C’est Yspaddaden Penkawr, le père d’Olwen (« Celle à la Trace Blanche »), autre nom de la Déesse Blanche. Dans l’Histoire de Kilhwych et Olwen (Kylhwych avait été ainsi appelé parce qu’il avait été trouvé dans la soue d’un pourceau), le géant Aubépin dispose tous les obstacles possibles à la réalisation du mariage de Kilhwych avec Olwen et exige une dot de treize trésors, tous apparemment impossibles à se procurer. Le géant vivait dans un château gardé par neuf portiers et neuf chiens de garde, preuve de la force du tabou contre le mariage pendant le mois de l’aubépin.

En Irlande, la destruction d’un aubépin vénérable s’accompagnait des plus grands dangers. Deux exemples du XIXe siècle sont cités dans le Folklore des îles Britanniques d’E. M. Hull. L’effet en est la mort du troupeau du coupable, celle de ses enfants et la perte de tout son argent. Dans son étude bien documentée, les Arbres Epineux Historiques des îles Britanniques, M. Vaughan Cornish parle d’aubépins sacrés poussant au-dessus de puits dans les provinces gaéliques. Il cite le cas de « l’aubépin de saint Patrick » à Tin’ahely, dans le comté de Wicklow : « Les fidèles s’assemblèrent le 4 mai, des cercles furent dûment exécutés tout autour du puits et l’on arracha les lambeaux aux vêtements pour les suspendre à l’épineux. » Il ajoute : « ceci se passa le jour de la sainte Monique, mais je ne sais pas s’il faut y voir une relation ». Certainement si : puisque la sainte Monique, nouveau calendrier, correspond au 15 mai, ancien calendrier, et qu’il s’agissait d’une cérémonie en l’honneur du mois de l’aubépin qui venait juste de commencer. Les morceaux étaient arrachés des vêtements en signe de deuil et offerts en gage de propitiation.

L’aubépin est donc l’arbre de la chasteté exagérée. Le mois commence le 13 mai, quand fleurit la première aubépine, et finit le 9 juin. La référence à l’épine blanche en matière d’ascèse, correspondant au culte de la déesse Cardéa, doit cependant être distinguée de son usage orgiaque plus récent correspondant au culte de la déesse Flora et en rapport avec la coutume anglaise médiévale de sortir à cheval au matin du 1er mai pour cueillir des branches d’aubépine en fleurs et pour aller danser autour des arbres de mai. Pour beaucoup d’hommes, la fleur d’aubépin exhale un fort parfum de sexe féminin ce pour quoi les Turcs utilisent les branches d’aubépines en fleurs comme symboles érotiques. Mr Cornish démontre que ce culte de Flora fut introduit dans les îles Britanniques à la fin du Ier siècle av. J.-C. par les seconds envahisseurs belges et, qu’en outre, l’aubépin de Glastonbury, qui fleurissait l’ancien jour de Noël (5 janvier du nouveau calendrier) et qui fut coupé par les Puritains à la Révolution, était un sport d’aubépin commun. Les moines de Glastonbury l’avaient choyé et lui avaient octroyé la sainteté en improvisant un conte sur le bâton de Joseph d’Arimathie et la couronne d’épines en vue de décourager l’usage orgiaque de l’aubépine qui n’apparaît pas normalement avant le 1er mai de l’ancien calendrier.

Il est vraisemblable que l’antique buisson qui avait poussé là où fut élevée ensuite la cathédrale de Saint-David était un aubépin orgiaque, car cela correspondait à la légende de la mystérieuse naissance de saint David.

[La Déesse Blanche] L pour Luis

L pour Luis

Les Mythes Celtes, la Déesse Blanche par Robert Graves. Pages 191-193.

les-mythes-celtes---la-deesse-blancheLe second arbre est le sorbier sauvage (« l’arbre de vie »). On le désigne encore sous le nom de « donneur de vie », de sorbier des oiseaux ou de frêne sauvage. Ses petits rameaux, éparpillés sur une peau de taureau fraichement écorchée, étaient utilisés par les druides, en dernière extrémité, pour contraindre les démons à répondre à des questions difficiles, d’où l’expression irlandaise « marcher sur les rameaux de connaissance » pour dire que l’on fait l’impossible afin d’obtenir une information. Le sorbier sauvage est aussi l’arbre très largement utilisé dans les Iles Britanniques en guise de talisman contre les éclairs et les sortilèges de toutes sortes : par exemple les chevaux ensorcelés peuvent être contrôlés uniquement grâce à un fouet de sorbier. Dans l’ancienne Irlande, les druides des armées opposées allumaient des feux de bois de sorbier et lançaient des incantations par-dessus, sommant les esprits de prendre part au combat. Dans le conte irlandais de Fraoth, les baies du sorbier magique gardé par un dragon avaient un pouvoir sustentateur équivalent à celui de neuf repas ; elles rendaient la santé aux blessés et chacune ajoutait une année à la vie d’un homme. Dans le conte de Diarmuid et Grainne, le fruit du sorbier est désigné comme la nourriture des dieux, en compagnie de la pomme et de la noix rouge. Cela conduit à supposer qu’il existait une extension du tabou plus commun sur le fait de consommer des amanites rouges. Selon un proverbe cité par Néron, les amanites passaient en effet pour « la nourriture des dieux ». D’ailleurs, dans l’ancienne Grèce, tous les aliments rouges, tels que homards, jambons, mulets de mer rouges, écrevisses et baies ou fruits rouges, étaient tabous excepté lors des fêtes en l’honneur de la mort ; le rouge était la couleur du deuil en Grèce et en Bretagne à l’âge du bronze. On a trouvé de l’ocre rouge dans des tombes mégalithiques aussi bien dans les monts Prescelly que dans la plaine de Salisbury. Le sorbier sauvage est l’arbre de la rapidité. Ses noms botaniques Fraxinus, ou Pyrus, Aucuparia, laissent supposer ses emplois divinatoires. Un autre de ses noms est « le sorcier », or la main de la sorcière, utilisée dans les temps anciens pour découvrir les métaux, était taillée dans du sorbier. Etant l’arbre de la rapidité et de la vie, il pouvait être utilisé également dans le but contraire. Dans l’Irlande danéenne, un pal de sorbier fiché au travers d’un cadavre immobilisait son fantôme et, dans la saga de Cuchulain, pour obtenir sa mort, trois sorcières embrochent un chien, animal sacré, sur des piquets de sorbier.

L’usage oraculaire du sorbier explique la présence insolite de grands bosquets de cet arbuste  à Rügen et dans les autres îles à ambre de la Baltique utilisées autrefois comme lieux de divination, et la fréquente présence de sorbiers, signalée par Joh Lightfoot dans sa Flora Scotia (1777), au voisinage des anciens cercles de pierres.

Le second mois s’étend du 21 janvier au 15 février. L’importante fête celtique de la Chandeleur tombe en son milieu (2 février). Elle fut instituée pour souligner la croissance de l’année et était la première des quatre journées, « les jours de croix-quartier », auxquelles  les sorcières britanniques célébraient leurs sabbats, les autres étant la veille de mai, les Lammas (2 août) et la veille de la Toussaint au moment où l’année se meurt. Ces jours correspondent aux quatre grandes fêtes du feu irlandaises mentionnées par Cormac, l’archevêque de Cashel au Xème siècle. En Irlande et dans les Highlands, le 2 février se trouve être très précisément le jour de la Sainte Brigitte, la Déesse Blanche des temps anciens, la triple muse de la croissance. Le rapprochement du sorbier avec la fête du feu de la Chandeleur est souligné par Morann Mac Main’Ogham dans le Livre de Ballymote : « il donne au sorbier le nom poétique de « délice des yeux », textuellement Luisiu, « flamme ».