Poème [la Déesse Blanche]

Extrait de La Déesse Blanche par Robert Graves (avant l’avant-propos)

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Les saints l’insultent tous et tous les gens sensés
Que gouverne Apollon et ses canons dorés.
Pourtant, pour la trouver, moi j’ai fait le voyage
Jusqu’aux pays lointains qu’elle aurait habités,
Elle dont je voulais scruter plus que l’image,
Sœur de l’écho et du mirage.

Je faillis très souvent m’arrêter en chemin,
Abandonnant ma quête héroïque et têtue.
Dans les feux du volcan je crus bien l’avoir vue,
Sur la banquise, en dehors des pistes, plus loin
Que la grotte des septs dormeurs, et primordiale
La déesse au front blanc tels celui d’un lépreux
Aux yeux glauques, à la bouche rouge, aux cheveux
Jaune miel ondulant jusqu’à son ventre pâle.

Dans le jeune bois vert, la sève du printemps
Célèbre la Montagne-Mère en bouillonnant.
Et chaque chant d’oiseau s’élève alors plus tendre.
Mais moi je peux la voir même en l’âpre Novembre
Dans la magnificence de sa nudité.
Or je sais son passé de trahison. N’empêche :
Je prétends oublier sa froide cruauté
Sans me soucier du point où peut tomber sa flèche.

M pour MUIN [Déesse Blanche]

M pour MUIN

Extrait de l’Alphabet des Arbres, La Déesse Blanche. Robert Graves.

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Le dixième arbre est la vigne à la saison des vendanges. Quoique non native de Grande-Bretagne, la vigne est un motif important dans l’art de l’âge du bronze britannique. On peut en conclure que les Danéens véhiculèrent vers le nord non seulement le symbole mais la plante elle-même. Elle parvient à donner des fruits convenables sur quelques pentes abritées dans le sud. Mais, comme on ne peut l’y considérer comme une essence sauvage, on dut lui substituer la ronce. La saison de l’apparition des fruits, leur couleur et l’allure de la feuille correspondent, et le vin de mûres est une boisson qui monte à la tête.

Dans tous les pays celtiques, il existe un tabou interdisant de manger la mûre bien qu’elle soit un fruit sain et nourrissant. En Grande-Bretagne, la raison invoquée est « à cause des fées ». A Majorque, l’explication est différente : la ronce aurait été l’arbuste choisi pour la couronne d’épines  et les mûres seraient le sang du Christ. Dans le Nord du pays de Galles, lorsque j’étais enfant, on prétextait seulement qu’elles étaient vénéneuses. Dans le Devonshire, le tabou ne porte que sur l’ingestion des mûres après le dernier jour de septembre, « lorsque le diable entre en elles », ce qui étaye ma théorie selon laquelle les mûres seraient un substitut populaire de la vigne en Extrême Occident.

La vigne était consacrée au Thrace Dionysos ainsi qu’à Osiris et la principale décoration du temple de Jérusalem consistait en une vigne d’or.

Elle est l’arbre de la joie, de la gaieté, et de l’emportement furieux.

Le mois s’étend du 2 septembre au 29 septembre et inclut l’équinoxe d’automne.

S pour Saile [Déesse Blanche]

S pour SAILE

Extrait de l’Alphabet des Arbres, La Déesse Blanche. Robert Graves.

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Le cinquième arbre est le saule, ou osier, qui, en Grèce, était consacré à Hécate, Circé, Hèra et Perséphone, toutes aspect de la mort de la triple Déesse-Lune. Il fut très en honneur chez les sorcières. Comme le dit succinctement Culpeper dans son Herbier Complet : « Il est sous la complète dépendance de la Lune. » Sa relation avec les sorcières est si forte dans le nord de l’Europe que les mots « sorcière » et « malfaisant » (witch et wicked) y viennent du même ancien mot pour saule (willow) qui devient parfois osier (wicker). Le « balai de sorcière » dans la campagne anglaise est encore composé d’un manche de frêne et de petites branches de bouleau liées par de l’osier : les branches de bouleau pour qu’à l’expulsion des mauvais esprits il n’y en ait pas à demeurer empêtrées dans le balai et le manche de frêne en guise de protection contre la noyade (les sorcières deviennent inoffensives lorsqu’on les prive de leurs balais et qu’on les jette dans l’eau courante) ; les ligatures sont en osier en l’honneur d’Hécate. Les sacrifices humains druidiques étaient offerts en période de pleine Lune dans des corbeilles d’osier ; quant aux silex trouvés dans les tombes, ils étaient taillés en forme de feuilles de saule. Le saule (helice en grec, salis: en latin) donna son nom à Hélicon, le séjour des neuf Muses, prêtresses orgiaques de la Déesse-Lune. On sait que Poséidon avait précédé Apollon comme chef des Muses à l’époque où c’était lui qui avait été le gardien de l’oracle delphique ; aux temps classiques, en effet, un bosquet lui était encore consacré sur l’Hélicon. Selon Pline, un saule poussa hors de la caverne crétoise où naquit Zeus ; enfin, parmi ses commentaires à propos d’une série de monnaies de Gortyne, en Crête, A. B. Cook, dans son Zeus, suggère qu’Europe, qu’on y voit assise dans un saule, un panier d’osier à la main, tandis qu’un aigle lui fait l’amour, n’est pas seulement Eur-ope (« Celle à la Face Large »), c’est-à-dire la pleine Lune, mais Eu-rope. (« Celle du Saule-Osier bien venant ») alias Hélice sœur d’Amalthée. Porter du saule au chapeau pour se désigner comme un amoureux éconduit semble avoir été d’abord un charme contre la jalousie de la Déesse-Lune. Le saule lui est consacré pour de  nombreuses raisons ; c’est l’arbre qui affectionne le plus l’eau, or la déesse de la Lune passe généralement pour la dispensatrice de la rosée et de l’humidité ; ses feuilles et son tronc, sources de l’acide salicylique, sont souverains contre les crampes rhumatismales que l’on pensait autrefois  être causées par le pouvoir des sorcières. Le premier oiseau orgiaque de la déesse est le torcol*, ou oiseau-serpent, ou épouse du coucou, un migrateur printanier qui siffle comme un serpent, se couche de tout son long sur une branche, dresse la tête lorsqu’il est en colère, tord son cou dans toutes les directions, pond des œufs blancs, mange les fourmis et porte des marques en V sur ses plumes comme celles sur les écailles des serpents oraculaires dans l’ancienne Grèce, enfin niche toujours dans les saules.

En outre, le liknos, ou tamis anciennement utilisé pour vanner le blé, était fait en saule. C’était à bord de tels grands tamis, ou cribles, que les sorcières du nord Berwick allaient sur la mer au cours de leurs sabbats, à ce qu’elles confessèrent au roi Jacques 1er. Une célèbre peinture grecque de Polygnote, à Delphes, représente Orphée recevant le don de l’éloquence mystique en touchant des saules dans un bosquet appartenant à Perséphone ; il convient d’y rattacher l’injonction du Chant des Arbres de la Forêt : « Ne brûlez pas le saule, arbre sacré pour les poètes ».

Le mois s’étend du 15 avril au 12 mai et le 1er mai, célèbre pour ses ébats orgiaques et sa rosée magique, tombe au milieu. Il est possible que le fait de porter des branches de marceau (espèce de saule) le dimanche des Rameaux, fête variable tombant le plus souvent au début d’avril, soit une coutume qui concerne en réalité le début du mois du saule.

* Les Athéniens, pourtant, célébraient la fête de Cronos au début de juillet, pendant le mois de Cronion ou Hécatombéïon (« Cent Têtes ») appelé aussi à l’origine Nékusion (« le Mois du Cadavre ») par les Crétois et Hyacinthion par les Siciliens pour rappeler Hyacinthe, le double de Cronos. La récolte de l’orge tombe en juillet, si bien qu’à Athènes, Cronos devenait Sabazios, « Jean-grain d’orge », le premier à apparaître au-dessus du sol à l’Équinoxe de printemps ; on célébrait joyeusement sa multiple mort à la fête des moissons. Il avait longtemps perdu ses relations avec l’aune bien qu’il partageât encore un temple à Athènes avec Rhèa, la Reine de l’Année gardée par un lion, qui était son épouse de la Saint-jean et a qui le chêne était consacré en Grèce.

* On surnommait Dionysos Iyncgies, « du torcol », parce que l’oiseau jouait un rôle dans un ancien charme érotique. Callimaque, le poète du IIIème siècle avant notre ère, dit que le torcol avait servi de messager à Io pour attirer Zeus dans ses bras, et son contemporain Nicandre de Collophon rapporte que neuf filles de Piérie qui rivalisaient avec les Muses furent transformées en oiseaux dont l‘un était le torcol, ce qui signifie que le torcol était consacré à la Déesse-Lune originelle du mont Piérie dans le nord de la Thessalie (voir chapitre XXI). Il était également sacré en Égypte et en Assyrie.

 

P pour PEITH, ou NG pour NGÉTAL [Déesse Blanche]

Extrait de l’Alphabet des Arbres, La Déesse Blanche. Robert Graves.

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Le douzième mois, dans la liste d’O’Flaherty, est Peith, le tilleul à petites feuilles, ou boule de neige, ou viorne, ou sureau d’eau, introduction logique au dernier mois qui est le véritable sureau. Mais Peith n’est pas la lettre originelle, c’est un substitut botanique pour la lettre d’origine, N G, qui n’était d’aucune utilité littéraire ni pour les Bretons ni pour les Goïdels, mais qui appartenait à la série originelle. L’arbre du NG était le Ngétal, ou roseau, qui devient bon à couper en novembre. Une joncacée poussant à partir d’une stipe épaisse, à l’imitation d’un arbre, était un symbole de royauté sur le pourtour de la Méditerranée orientale. Les pharaons portaient des sceptres en roseau, d’où l’épigramme du prophète Isaïe sur I’Égypte, « roseau écrasé », et c’est un roseau royal qui fut placé entre les mains de Jésus lorsqu’il fut revêtu de la pourpre. C’est « l’arbre » dont la tige servait à faire des flèches et c’est bien pour cette raison qu’on l’avait associé au pharaon, Dieu-Soleil vivant lançant ses flèches dans toutes les directions pour symboliser son pouvoir. Le nom douze évoque donc le pouvoir établi, ce que confirme l’emploi du roseau en guise de chaume en Irlande : une maison n’est pas une maison digne de ce nom tant que le toit n’est pas dessus.

Le mois s’étend du 28 octobre au 24 novembre.

La Déesse Blanche, Robert Graves. Liste des extraits

Quelques extraits du livre. [en cours]

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LES MYTHES CELTES La déesse blanche Robert Graves, aux Editions du ROCHER.

« Le livre de référence de la tradition et de la mythologie celtes par l’un des grands spécialistes de l’histoire des civilisations, auteur notamment des « mythes grecs » et de « la Toison d’or ». Un livre de référence qui restitue la magie, la fécondité et la permanence d’une civilisation dont l’occident est en grande partie issu. Le Styx, la Déesse blanche, la Triple Muse, les Sept Piliers, l’Alphabet des arbres… la mythologie celte est un vivier au sein duquel les civilisations postérieures ont largement puisé. Si l’on savait qu’il existait une réalité mythologique, on apprend grâce à Robert Graves que cette réalité loin d’être tarie, irrigue toujours notre pensée, et nourrit notre avenir. »

TABLE DES MATIERES

Poètes et chanteurs ambulants
Le combat des arbres
Chienne, chevreuil et vanneau
La déesse blanche
L’énigme de Gwion
Héraclès sur le lotus
L’hérésie de Gwion
L’alphabet des arbres
Le chant d’Amergin
Palamède et les grues
Le chevreuil dans les fourrés
Les sept piliers
Le saint nom imprononçable de Dieu
Le lion à la main ferme
Le dieu au pied de taureau
Le nombre de la bête
Une conversation a Paphos en 43 de notre ère
Les eaux du Styx
La triple muse
Animaux fabuleux
L’unique thème poétique
La guerre dans les cieux
Le retour de la déesse
Post-scriptum