S pour SAILE
Extrait de l’Alphabet des Arbres, La Déesse Blanche. Robert Graves.
Le cinquième arbre est le saule, ou osier, qui, en Grèce, était consacré à Hécate, Circé, Hèra et Perséphone, toutes aspect de la mort de la triple Déesse-Lune. Il fut très en honneur chez les sorcières. Comme le dit succinctement Culpeper dans son Herbier Complet : « Il est sous la complète dépendance de la Lune. » Sa relation avec les sorcières est si forte dans le nord de l’Europe que les mots « sorcière » et « malfaisant » (witch et wicked) y viennent du même ancien mot pour saule (willow) qui devient parfois osier (wicker). Le « balai de sorcière » dans la campagne anglaise est encore composé d’un manche de frêne et de petites branches de bouleau liées par de l’osier : les branches de bouleau pour qu’à l’expulsion des mauvais esprits il n’y en ait pas à demeurer empêtrées dans le balai et le manche de frêne en guise de protection contre la noyade (les sorcières deviennent inoffensives lorsqu’on les prive de leurs balais et qu’on les jette dans l’eau courante) ; les ligatures sont en osier en l’honneur d’Hécate. Les sacrifices humains druidiques étaient offerts en période de pleine Lune dans des corbeilles d’osier ; quant aux silex trouvés dans les tombes, ils étaient taillés en forme de feuilles de saule. Le saule (helice en grec, salis: en latin) donna son nom à Hélicon, le séjour des neuf Muses, prêtresses orgiaques de la Déesse-Lune. On sait que Poséidon avait précédé Apollon comme chef des Muses à l’époque où c’était lui qui avait été le gardien de l’oracle delphique ; aux temps classiques, en effet, un bosquet lui était encore consacré sur l’Hélicon. Selon Pline, un saule poussa hors de la caverne crétoise où naquit Zeus ; enfin, parmi ses commentaires à propos d’une série de monnaies de Gortyne, en Crête, A. B. Cook, dans son Zeus, suggère qu’Europe, qu’on y voit assise dans un saule, un panier d’osier à la main, tandis qu’un aigle lui fait l’amour, n’est pas seulement Eur-ope (« Celle à la Face Large »), c’est-à-dire la pleine Lune, mais Eu-rope. (« Celle du Saule-Osier bien venant ») alias Hélice sœur d’Amalthée. Porter du saule au chapeau pour se désigner comme un amoureux éconduit semble avoir été d’abord un charme contre la jalousie de la Déesse-Lune. Le saule lui est consacré pour de nombreuses raisons ; c’est l’arbre qui affectionne le plus l’eau, or la déesse de la Lune passe généralement pour la dispensatrice de la rosée et de l’humidité ; ses feuilles et son tronc, sources de l’acide salicylique, sont souverains contre les crampes rhumatismales que l’on pensait autrefois être causées par le pouvoir des sorcières. Le premier oiseau orgiaque de la déesse est le torcol*, ou oiseau-serpent, ou épouse du coucou, un migrateur printanier qui siffle comme un serpent, se couche de tout son long sur une branche, dresse la tête lorsqu’il est en colère, tord son cou dans toutes les directions, pond des œufs blancs, mange les fourmis et porte des marques en V sur ses plumes comme celles sur les écailles des serpents oraculaires dans l’ancienne Grèce, enfin niche toujours dans les saules.
En outre, le liknos, ou tamis anciennement utilisé pour vanner le blé, était fait en saule. C’était à bord de tels grands tamis, ou cribles, que les sorcières du nord Berwick allaient sur la mer au cours de leurs sabbats, à ce qu’elles confessèrent au roi Jacques 1er. Une célèbre peinture grecque de Polygnote, à Delphes, représente Orphée recevant le don de l’éloquence mystique en touchant des saules dans un bosquet appartenant à Perséphone ; il convient d’y rattacher l’injonction du Chant des Arbres de la Forêt : « Ne brûlez pas le saule, arbre sacré pour les poètes ».
Le mois s’étend du 15 avril au 12 mai et le 1er mai, célèbre pour ses ébats orgiaques et sa rosée magique, tombe au milieu. Il est possible que le fait de porter des branches de marceau (espèce de saule) le dimanche des Rameaux, fête variable tombant le plus souvent au début d’avril, soit une coutume qui concerne en réalité le début du mois du saule.
* Les Athéniens, pourtant, célébraient la fête de Cronos au début de juillet, pendant le mois de Cronion ou Hécatombéïon (« Cent Têtes ») appelé aussi à l’origine Nékusion (« le Mois du Cadavre ») par les Crétois et Hyacinthion par les Siciliens pour rappeler Hyacinthe, le double de Cronos. La récolte de l’orge tombe en juillet, si bien qu’à Athènes, Cronos devenait Sabazios, « Jean-grain d’orge », le premier à apparaître au-dessus du sol à l’Équinoxe de printemps ; on célébrait joyeusement sa multiple mort à la fête des moissons. Il avait longtemps perdu ses relations avec l’aune bien qu’il partageât encore un temple à Athènes avec Rhèa, la Reine de l’Année gardée par un lion, qui était son épouse de la Saint-jean et a qui le chêne était consacré en Grèce.
* On surnommait Dionysos Iyncgies, « du torcol », parce que l’oiseau jouait un rôle dans un ancien charme érotique. Callimaque, le poète du IIIème siècle avant notre ère, dit que le torcol avait servi de messager à Io pour attirer Zeus dans ses bras, et son contemporain Nicandre de Collophon rapporte que neuf filles de Piérie qui rivalisaient avec les Muses furent transformées en oiseaux dont l‘un était le torcol, ce qui signifie que le torcol était consacré à la Déesse-Lune originelle du mont Piérie dans le nord de la Thessalie (voir chapitre XXI). Il était également sacré en Égypte et en Assyrie.