Les mouvements féministes, gays et écologistes ont contribué (non sans mal) au développement de la wicca américaine ainsi qu’à celui du reste du néopaganisme. Une étude de cas significative de ce phénomène, permettant de montrer à quel point il a pu mettre à l’épreuve les principes œcuméniques définis par le Conseil, peut être faite en étudiant la fondation de la tradition Dianic Wicca, Z. Budapest et Morgan Mc Farland. Le terme Dianic Wicca recouvre aujourd’hui un grand nombre de groupes, que l’on peut rassembler en deux tendances principales. : Feminist Wicca (issue de Budapest) et Dianic Covenstead (tendance McFarland).
Comme son nom l’indique, Z. Budapest est d’origine hongroise. L’arbre généalogique de sa famille remonte à 1270. Il y a toujours eu des herboristes dans sa famille ; plusieurs de ses ancêtres étaient guérisseurs, et son père, médecin, tenait également une pharmacie-herboristerie. Budapest se souvient de sa mère prédisant l’avenir, entrant en transe et en communication avec les morts. Sa mère était artiste et son art témoignait, d’après Budapest, d’influences sumériennes. Elle décorait ses céramiques de motifs représentant l’arbre de vie, de symboles floraux (1), etc. Elle utilisait des incantations et, dit Budapest, « arrêtait le vent ». Elle décrivait ces pratiques comme peasant, et non pagan (il se trouve les deux notions — paysan et païen — sont désignées par le même terme en hongrois).
La famille émigre aux États-Unis après l’insurrection de 1954 pour fuir la répression soviétique. Budapest est encore adolescente. En arrivant à New York, elle prend conscience qu’il y règne une forme d’oppression : les fondations Ford et Rockfeller octroient des bourses d’études aux enfants des réfugiés hongrois, mais l’essentiel des fonds est distribué aux garçons ; les filles comme Budapest doivent travailler pour pouvoir bénéficier d’études secondaires. Dans ces conditions, les études universitaires sont hors de question. Budapest devient donc serveuse. Elle se marie et élève ses deux enfants, tout en continuant à travailler. Au bout de douze ans d’une vie harassante, Budapest fait une tentative de suicide. Alors, elle a une vision, et se remémore qu’elle est une sorcière : « j’ai recouvré mon authentique perspective de sorcière, et me suis souvenue qu’une sorcière envisage toujours la vie comme un défi », explique-t-elle. Budapest décide de tourner la page et part en auto-stop pour Los Angeles. Elle y découvre dans un journal l’annonce d’une manifestation d’un groupe féministe, le Women’s Liberation Movement, et décide de se joindre au groupe qu’elle rencontre à cette occasion. Budapest commence alors à parler de la Déesse à ces femmes. Elle leur communique son savoir sur les coutumes païennes qui ont survécu en Hongrie, et qui y ont perdu pour la plupart des Hongrois (mais pas pour elle) toute signification religieuse. Puis elle entreprend la lecture de toute la littérature disponible sur le culte dianique, en particulier les œuvres de Leland et de Murray, et tient ses premiers sabbats avec quelques femmes de son groupe. Un jour du solstice d’hiver 1971, à Vénice (Californie) un coven est créé. Les femmes du groupe le nomment le « Susan B. Anthony Coven n° 1 » (2).
Au début des années quatre-vingt, Z. Budapest transmet la direction de ce premier coven à la Grande-Prêtresse Ruth Barrett, qu’elle a initiée, et part pour Oakland où elle fonde un deuxième coven. Barrett change le nom du coven initial, choisissant de le nommer Circle of Aradia. Budapest donne à son second coven l’ancien nom du premier. À Oakland, elle fonde et dirige un centre de formation — Le Women’s Spirituality Forum — qui se fixe comme objectifs de faire connaître et d’amener au culte de la Déesse les membres de mouvements féministes et écologistes, et de restaurer (ou plutôt d’instaurer) la paix et la justice aux États-Unis. Le centre organise des congrès auxquels des féministes qui sont aussi des figures importantes du néopaganismes, comme Merlin Stone, Starhawk, Diana Paxton, Margot Adler et Budapest elle-même sont invitées à prendre la parole (3).
Alors même que Z. Budapest fonde le Suzan B. Anthony Coven n° 1 à Venice, un autre coven dianique est créé à Dallas, Texas (c’est-à-dire en pleine Bible Belt) par Morgan McFarland et Mark Roberts. McFarland avait passé son enfance en Orient où son père était un missionnaire protestant, puis elle s’était installée dans le sud des États-Unis, où elle avait été initiée dans un coven local ne se réclamant d’aucune tradition particulière et se dénommant simplement Witchcraft (4). Néanmoins, les rituels de ce coven étaient très inspirés de Graves, mettant l’emphase sur le culte de la Lune et sur les Mystères des treize mois lunaires et leur relation avec l’alphabet Beth-Luis-Nion de la Grande-Bretagne archaïque dont parle Graves. Quelques mois plus tard, McFarland lançait un magazine néopaïen éphémère, The Harp, avant de sortir de l’ombre et de créer un premier groupe néopaïen appelé The Seekers (La Quête) en 1972. Ce groupe publie une revue intitulée The New Broom (littéralement : ,nouveau balai). The Seekers devient bientôt un coven dianique mixte. Il est suivi d’un deuxième coven, réservé aux femmes, puis le groupe commence à essaimer.
Dianic Wicca est aujourd’hui l’une des branches les plus actives du néopaganisme wicca. Les adeptes de Dianic Wicca considèrent le véritable Craft comme une religion de femmes. Alors que la plupart des membres de la wicca reconnaissent Gardner comme leur père spirituel et respectent le principe de la double polarité masculin-féminin, les sorcières dianiques ne veulent reconnaître que Diana, celle de Murray, mais surtout celle de Leland, et aussi la Diane/Artémis des Romains et des Grecs. Le culte dianique des États-Unis est le culte de la Déesse, source de toute vie, source du féminin et du masculin, et comportant en elle des aspects du masculin et du féminin. Il y a là des échos de Graves, de Frazer, des théories de Jung et surtout de Neumann*. Chaque création de la Nature étant un enfant de la Déesse, ce culte se considère comme panthéiste, bien que les rituels soient consacrés uniquement à la Déesse : celle-ci est d’ailleurs célébrée sous trois aspects différents correspondant aux trois âges du féminin : Maiden-Creatrix (5), Great Mother (la Grande Mère) et Old Crone (la Vieille Femme), cette dernière détenant les clefs des portes de la mort et de la renaissance.
La plupart des covens dianiques sont composés exclusivement de femmes, mais ce n’est pas toujours le cas dans la tendance MacFarland. Comme les covens exclusivement féminins, les covens mixtes ont une approche strictement féministe en toute chose. Dans chaque cercle, la Grande-Prêtresse représente la Déesse. Elle est assistée lors des rituels par une très jeune fille, et parfois, dans les covens mixtes, par un Grand-Prêtre qui reconnaît son autorité. Le Grand-Prêtre et la jeune fille représentent l’époux et l’enfant de la Déesse. Cet époux entretient avec la Déesse le même type de relation qu’Osiris à Isis. Pour illustrer cette relation, les membres de Dianic Covenstead citent une phrase attribuée à Bachofen : « Immortelle est Isis, mais mortel est son époux, tout comme la création terrestre qu’il représente. » McFarland en est la Grande-Prêtresse et Mark Roberts son Prêtre. Dans cette tradition, ce sont toujours les femmes qui choisissent le prêtre, et celui-ci est révocable à tout moment. Les hommes y sont en position d’infériorité, mais, comme le dit Roberts (cité par Adler, 1997 : 124), « Je préfère être second sur un navire solide que capitaine d’un navire dont la coque est pourrie et qui ne va pas tarder à sombrer, ce qui est le cas du patriarcat. »
D’après Melton (1988 : 1220), certains covens dianiques croient à la parthénogenèse. Cette croyance se révèle aujourd’hui en quelque sorte en passe d’être légitimée par la découverte d’une technique particulière de procréation assistée : le clonage humain à partir d’une cellule maternelle.
Si MacFarland fut initiée au Witchcraft avant de devenir féministe, il est clair que Budapest était déjà féministe avant de devenir une sorcière féministe de la branche wicca et de fonder uncoven et la tradition Dianic Wicca. Mais il est également vrai qu’elle peut prétendre avoir été avant tout sorcière, par tradition familiale — une tradition que Bonewits qualifierait de « classique ». Il semble aussi que sa mère ait pratiqué ce que Bonewits appelle sorcery. Elle a recueilli en héritage — par imprégnation (c’est-à-dire sans bénéficier d’un enseignement systématisé) — certains savoirs magiques, transmis oralement et par l’exemple, de génération en génération. Dans cette tradition familiale, les rituels sont réduits au minimum. Ce qu’il reste de religieux dans cet héritage est également très simple et réduit au minimum. Il n’y a pas d’initiation à proprement parler. Il s’agit d’un savoir presque réduit au savoir-faire, un craft. Le contact avec le mythe ou la religion wicca importés d’Europe via Gardner et al. se fait dans un deuxième temps. Et ce, par l’intermédiaire de la lecture de la littérature wicca et non par initiation. S’ensuivent la création d’une tradition, avec l’adoption d’un mythe, de nouvelles structures, des initiations, et des rituels de plus en plus élaborés concernant non plus un individu, mais tout un groupe, qui y trouve une cohésion : il s’agit maintenant d’une religion – mais d’une religion assez éloignée des principes de la wicca tels que définis par le Council of American Witches, et cette particularité va créer de nombreux remous au sein du Craft étasunien.
(1) Sans doute s’agit-il de l’arbre huluppu et de la rosette d’Inanna, dont le mythe sera résumé ci-dessous. cf. Inanna, Queen of Heaven and Earth (Her stories and Hymns from Sumer) de Diane Wolkstein et Samuel Noah Kramer (1984), ouvrage que nous avons traduit en 1996.
(2) Susan Brownell Anthony (1820 – 1906) était une des figures éminentes du mouvement féministe américain du XIXe siècle ; elle s’est battue pour QUE le droit de vote soit accordé aux femmes.
(3) Ce récit est emprunté à Adler, 1997 : 76-77. Le groupe de Z. Budapest devient célèbre lorsque la « sorcière » féministe, qui utilisait le tarot, tombe en 1975, à Los Angeles, dans un piège tendu par une femme policier qui lui avait demandé de tirer les cartes et l’avait prise en flagrant délit. Budapest refusa de payer discrètement une amende et de retourner à ses activités occultes dans sa petite boutique qui avait pignon sur rue, comme le fon habituellement les centaines d’autres personnes arrêtées pour le même motif. Au contraire, elle proclama que son activité divinatoire était liée à sa religion. Elle fut arrêtée et emprisonnée, passa en jugement et fut condamnée, pour avoir enfreint la loi de Los Angeles, à payer une lourde amende. De nombreux témoins, dont les anthropologues avaient pourtant été cités par la défense, dont le slogan était « Hands off Wimmin’s Religion » (« On ne touche pas à la religion des Femmes. »)
(4) Les sources divergent quant au milieu professionnel de McFarland : Melton (1988 : 1220) en fait une journaliste, alors qu’Adler (1997 : 124) dit qu’elle a d’abord été mère au foyer, puis a donné des conférences sur le féminisme et le witchcraft, pour finir par monter un commerce florissant de plantes et de vannerie.
(5) Cet aspect de la déesse (que l’on pourrait traduire par « la Jeune Fille Créatrice ») est celui que célèbre le groupe néopaïen non wicca Feraferia, étudié ultérieurement.
Catégorie : Old Dianic
La tradition dianique McFarland par Margot Adler
Par Margot Adler. Extrait de Drawing down the moon. Traduction et adaptation : Fleur de Sureau
[…] Dans ce pays, un autre courant Dianique est né à Dallas avec le Covenstead dianique de la prêtresse Morgan McFarland. Cette tradition exalte le féminin mais n’exclut pas les hommes du culte. Lorsque j’ai rendu visite à Morgan McFarland en 1976, elle était la prêtresse de trois covens, dont un exclusivement féminin.
Dans ce courant de la tradition, la Déesse est vue comme possédant trois aspects : la Vierge-Créatrice, la Grande-Mère et la Vieille Femme qui garde les portes de la mort et de la renaissance. C’est sous son second aspect que la Déesse prend un consort masculin, qui est semblable à Osiris pour Isis. Pour présenter cette relation, les Dianiques citent une phrase attribuée à Bachofen : « Immortelle est Isis, mais mortel est son époux, tout comme la création terrestre qu’il représente. » Ainsi il y a une place pour le Dieu, mais la femme en tant que Créatrice est primordiale. Les Dianiques voient également la Déesse symbolisée dans la nature comme la Triple Créatrice : comme la lune, la Reine des Mystères ; comme le soleil, Sunna, la Reine des Etoiles, pourvoyeuse de chaleur et de soins ; et comme la Terre Mère, à qui tout doit retourner.
Mark Roberts, qui était le partenaire de McFarland jusqu’en 1978, m’expliqua que les Dianiques sont également panthéistes, puisqu’ils reconnaissent le caractère sacré de tout ce qui existe. Mais, dit-il :
“La Déesse est la pierre angulaire de cette planète et ce cycle de vie. »
Et à cette période, Mark et Morgan semblaient être (de tout ceux que j’ai interviewés) les plus concernés par le sort écologique de la planète. Dans The New Broom, une ancienne revue dianique, Roberts écrivait qu’il y a moins de différence entre un « mortel » et une « déité » qu’entre ceux qui ont perdu le contact avec la nature et ceux dont les rythmes et le pouls sont en phase avec l’univers.
Il écrivait également :
Le style de vie d’un Dianique est un composite de trois valeurs et idéaux. Premièrement, une conscience de soi. Deuxièmement, une relation (ndlt : un lien de parentèle) à la nature croissante et en perpétuelle expansion. Et troisièmement, une franche sensibilité aux pulsations du cosmos. A mesure que nous approchons des objectifs communs de conscience, du rétablissement d’un lien intime (ndlt : kinship, parenté) et de sensibilité, nous atteignons un niveau d’harmonisation que les outsiders appellent « magie ». Nous sommes bien conscients qu’avec nos travaux nous n’avons rien accompli, ni produit de surnaturel : nous avons simplement atteint notre niveau de capacité naturelle.
Dans une société obsédée par l’artificialité, notre style de vie semble étrange, « contre nature », même révolutionnaire…
Et nous sommes révolutionnaires : en ce sens que nous tournons autour de l’axe qui est la Déesse et nous parachevons le cycle qui voit son culte revenir en force ; et nous sommes les partisans d’un changement drastique et radical d’un monde destructeur, fou dangereux et pêle-mêle dans lequel nous nous trouvons ; et en cela, à une ère technologique où les avancées mécaniques ont des conséquences de plus en plus lourdes sur la sensibilité humaine, nous exerçons notre sens du réveil, à un niveau de conscience qui libère l’humain pour qu’il redevienne entier, indépendant et alerte. Dans une culture patriarcale qui devient de plus en plus autoritaire, nous n’avons pas d’autre choix que de nous placer en rebelles contre la déshumanisation… [Mark Roberts, “An Introduction to Dianic Witchcraft,” non publié Ms., Chap. VI, pp. 1–2.]
En rapport avec ces principes, le Dianic Covenstead possède une série très efficace d’exercices et de techniques pour recouvrer le lien de parentèle et l’harmonie avec la nature.
L’origine du Dianic Covenstead à Dallas remonte à environ quarante ans. Morgan McFarland, fille d’un pasteur, a vécu une partie de sa jeunesse en Orient puis s’est installée dans le Sud des Etats-Unis. Là-bas, elle fut formée au sein d’un coven sorcier. Ce coven ne possédait pas de nom pour sa tradition, l’appelant simplement Witchcraft (ndlt : Sorcellerie). Elle adopta le terme « Dianique » plus tard. Les rituels de ce coven mettait un accent particulièrement sur la lune, étaient très « Gravesiens » (ndlt : référence à Robert Graves et son livre la Déesse Blanche). Ils se focalisaient sur les mythes, les connaissances traditionnelles et les mystères derrière chacun des treize mois lunaires, ainsi que leur lien avec l’alphabet des arbres Beth-Luis-Nion de l’ancienne Grande-Bretagne.
Alors qu’hommes et femmes peuvent être initiés, les femmes qui ont fait l’expérience des rituels de chacun des mois lunaires peuvent passer par cinq rituels de « passage » supplémentaires. Après cela, elles peuvent partir (ndlt : hive off, essaimer, quitter la ruche, se séparer) et fonder leurs propres covens.
J’ai posé à Mark l’évidente question : comment est-ce d’être prêtre au sein d’une tradition si fortement matriarcale. Il a répondu :
“Je préfère être second d’un solide navire que capitaine sur un navire dont la coque est pourrie et qui est en train de couler. Comme l’est le patriarcat.”
J’ai demandé à Morgan de parler de ses sentiments à propos des différences entre ses deux covens, le mixte et celui qui ne l’est pas. Elle me répondit :
“Nous avons constaté que les femmes qui travaillent ensemble sont capables de conjurer leur passé et réveiller leur ancienne prédominance. Elles sont capables de recoller de nombreuses pièces. Cela ne semble pas se produire quand les hommes sont présents. Peut-être que c’est un comportement social. Il semble que les covens mixtes, peu importe à quel point les femmes sont « féministes », suscite une sorte de compétition. Dans le coven de femmes, rien de tout cela ne se produit et une grande réciprocité se développe, contrairement à tout ce que j’ai pu voir auparavant. ”
Morgan McFarland a été femme au foyer, une conférencière sur le féminisme et la Witchcraft, propriétaire d’une petite entreprise de plantes et paniers et une femme grimpant les échelons d’une grande entreprise. Elle a deux enfants. J’ai passé une semaine avec Morgan et Mark durant la période où ils travaillaient ensemble. Je les ai trouvés plein d’entrain, spontanés et formidables.
Leurs cercles étaient essentiellement des célébrations. Comme Mark l’a écrit dans The New Broom :
Nous pratiquons la guérison et la catoptromancie, nous gérons les problèmes et mettons en place des mesures de protection, mais la majorité des rituels du coven sont destinés à honorer et adorer la Déesse, et à ce qu’Elle entre en contact avec nous et inversement. L’esprit protecteur de nos cercles consiste davantage à nous protéger du 20ème siècle que des forces malveillantes. Nos cercles sont un havre pour nous préserver du présent, qui nous libèrent pour revenir dans le passé et restaurer notre ancienne harmonie avec la nature. [Mark Roberts, “The Dianic Aspects,” The New Broom, Vol. I, No. 2 (Candlemas, 1973), 17.]
Dans le cercle, tous étaient égaux, en dépit du côté « féministe », et on y laissait beaucoup de place à l’innovation pour les rituels, outils, habits (ou leur absence), l’envergure et la structure. En 2005, Morgan McFarland explique qu’elle observe la nouvelle génération de Dianiques d’un point de vue extérieur. Elle ne dirige plus de coven et se décrit elle-même comme une matriarche solitaire. Mais il existe de nombreux bosquets et covens qui perpétuent son travail.
Un rituel par Morgan McFarland, extrait du livre Drawing down the Moon
Par Margot Adler. Extrait de Drawing down the moon. Rituel par Morgan McFarland. Traduction et adaptation : Fleur de Sureau
Un vendredi soir à Boston, le 23 avril 1976, un millier de femmes sont assises sur les bancs de la vieille église d’Arlington Street. Les bancs sont plein et les femmes continuent de s’installer par terre et dans les allées. Puis se taisent tandis que la flûte de Kay Gardner crée un sentiment de paix. Les lumières se tamisent et Morgan McFarland, Grande Prêtresse Dianique, s’avance, vêtue d’une longue robe blanche, accompagnée de quatre membres de son coven de femmes, le même coven dont il est question dans la revue The New Broom. L’occasion est celle d’un rituel : “pour déclarer et affirmer notre naissance », pour marquer l’ouverture d’une conférence de trois jours sur la spiritualité féminine, portant le nom inhabituel de « A travers le miroir : une expérience gynérgétique » (“Through the Looking Glass: A Gynergenetic Experience”.) La conférence est suivie par plus de mille trois cents femmes et en plus d’une allocution de la théologienne féministe Mary Daly, la conférence est particulièrement remarquable du fait du grand nombre de prêtresses Sorcières venues y assister d’aussi loin que le Texas et la Californie.
Cette relation entre la spiritualité féministe et l’Art[ndlt : l’Art magique/sorcier] est complexe. Peut-être que si nous devions choisir un instant pour saisir toutes les qualités, problèmes, pressions et vastes potentialités dans cette relation difficile, ce rituel serait semblable à un prisme. Morgan et les femmes du coven se tiennent debout dans l’église, un peu à part, un peu trop élégamment vêtues, trop « féminines » de façon stéréotypée. Je me souviens combien elles étaient plus à l’aise lorsqu’elles pratiquaient leur rituel dans le living-room à Dallas, où chacune d’entre nous ne portait rien d’autre qu’un collier de perles. Mais elles sont là, devant l’autel de l’église, tenant des bougies, pendant qu’un millier de femmes regardent et attendent. Morgan s’avance et parle.
Dans le moment infini précédant tout temps, la Déesse émergea du chaos et donna naissance à Elle-Même… C’était avant que toute autre chose soit née… Pas même Elle. Et lorsqu’Elle sépara les cieux des eaux Elle dansa sur eux. Alors qu’Elle dansait, ainsi Son extase grandit. Dans cette extase, elle créa tout ce qui est. Ses mouvements créèrent le vent, et l’élément de l’Air naquit et souffla.
Une bougie est allumée à l’Est. Morgan parle.
Et la Déesse se nomma Elle-même : Arianrhod—Cardéa—Astarté. Et des étincelles jaillirent de Ses pieds dansants afin qu’Elle brilla comme le Soleil, et les étoiles se prirent dans Ses cheveux. Les comètes filèrent à Sa suite, et l’élément du Feu naquit.
Une bougie est allumée au Sud.
Et la Déesse se nomma Elle-même : Sunna, Vesta, Pelé. Autour de ses pieds les eaux tourbillonnèrent sous la forme de raz-de-marée, de rivières et de vifs ruisseaux. L’élément Eau se mit à couler.
Une bougie est allumée à l’Ouest.
Et Elle se nomma Elle-même : Binah, Mari Morgaine, Lakshmi. Et Elle voulut reposer ses pieds de leur danse, Et Elle engendra la Terre afin que ses rives soient son repose-pieds, les terres fertiles son utérus, les montagnes ses seins pleins, et ses cheveux flottants la végétation.
Une bougie est allumée au Nord.
Et la Déesse se nomma Elle-même : Cerridwen, Déméter, Mère Maïs. Elle vit ce qui fut, ce qui est et ce qui sera, né de Sa danse sacrée et du grand plaisir cosmique, et de la joie infinie. Elle rit et la Déesse créa la Femme à Son image… Pour qu’elle soit la Prêtresse de la Grande Mère. La Déesse s’adressa ensuite à Ses filles et dit : ‘ Je suis la Lune qui illumine votre chemin et parle à vos propres rythmes. Je suis la Danseuse et la Danse. Je tourbillonne sans mouvement. Je suis le Soleil qui vous procure la chaleur dans laquelle vous étirer et grandir. Je suis Tout ce qui Sera. Je suis le Vent qui souffle à votre appel et les Eaux scintillantes qui offrent la joie. Je suis le Feu de la Danse de Vie et Je suis la Terre sous vos pieds dansants Je donne à toutes mes prêtresses les trois aspects qui sont Miens : Je suis Artémis, la Demoiselle des Animaux, la Vierge de la Chasse. Je suis Isis, la Grande Mère. Je suis Ngame, l’Ancienne qui enroule le linceul. Je serai appelée par un million de noms. Appelez-moi, mes filles, et sachez que je suis Némésis. »
Plus tard, un feu est allumé dans le chaudron et le chant commence, tout d’abord doucement :
The Goddess is alive, magic is afoot, the Goddess is alive, magic is afoot. [La Déesse est vivante, la magie est en marche.]
[ndlt : une adaptation du titre « God is alive, magic is afoot » de Leonard Cohen et Buffy St.Marie.]
Puis il devient de plus en plus fort jusqu’à devenir clameur et cris primaux. Morgan parle alors pour la dernière fois.
Nous sommes Vierges, Mères et Anciennes – toutes à la fois. Nous offrons notre énergie créée : à l’esprit des Femmes du Passé, à l’esprit des Femmes à venir, à l’esprit de la femme du présent et qui grandit. Voyez, nous avançons ensemble.
A la fin du rituel, les femmes dans l’église commencent à danser et à chanter, leurs voix s’élèvent, encore et encore jusqu’à faire trembler la toiture.
Plus tard, quelques femmes diront qu’elles ne voulaient pas que les prêtresses se tiennent à part, sur un piédestal et près de l’autel ; elles ne voulaient pas voir l’énergie envoyée « vers le haut » ; elles voulaient qu’elle vise « l’oppresseur ». En dépit de cela, passant là-dessus, la difficile alliance, explosive, potentiellement puissante entre le féminisme et l’Art est ressentie comme une évidence part toutes, pendant la conférence de nombreuses femmes diront avoir ressenti, pour la première fois, que la nouvelle « culture des femmes » était devenue une réalité.
Morgan et ses prêtresses se retrouvent à un tournant. Ce coven Dianique est peut-être le plus féministe des groupes « traditionnels », mais cette nuit-là à Boston, de nombreuses femmes l’ont trouvé trop formel et structuré. Ces femmes sont déterminées à définir leurs propres modalités et repartir de zéro.
[…]
La tradition dianique McFarland par J. R. Lewis
Tradition dianique McFarland
Par James R. Lewis, extrait de son livre Witchcraft Today An Encyclopedia of Wiccan and Neopagan Traditions. Traduction par Fleur de Sureau
Morgan McFarland et Mark Roberts fondèrent leur tradition dianique (qui inclut des hommes) à la fin des années 60 à Dallas, au Texas. On ignore s’il y eut des contacts entre McFarland et Z. Budapest aux environs de 1970, c’est possible. En 1972, McFarland et Roberts commencèrent à publier la revue The New Broom ; bien que populaire, elle ne fut pas, comme la plupart des périodiques sur l’Art [ndlt : l’art sorcier/magique], un succès financier et elle cessa de paraitre après quatre numéros en quatre ans.
Cependant, parce que The New Broom fit connaitre McFarland, celle-ci fut invitée par des femmes de la communauté de l’Art à Boston pour accomplir le rituel d’ouverture d’une conférence féminine. Le 23 avril 1976, Morgan McFarland dirigea 1000 femmes au cours d’un rituel à la Déesse, à l’église de la rue Arlington de Boston, pour ouvrir la Women’s Spirituality Conference de trois jours qui présenta l’Art à la plupart des participants. Après cela, le mouvement de la spiritualité féminine ne fut plus jamais le même. Peu de temps après, McFarland s’effaça de la scène nationale et Roberts mit en route une autre revue, The Harp. Mais elle aussi disparut rapidement.
Les numéros de The New Broom et The Harp peuvent être consultés auprès de the American Religion special collection à l’Université de Californie, à Santa Barbara.
Les dianiques McFarland, une chronologie
Extrait du (défunt) site The McFarland Dianic Homepage. Traduction et adaptation : Fleur de Sureau.
Ce que l’on connait aujourd’hui sous le nom des dianiques McFarland est né en 1971. A cette époque, Morgan McFarland, qui réalisait ses propres rituels personnels et solitaires depuis quelques années, rencontra Mark Roberts par le biais d’un ami commun. Mark pratiquait également à cette époque en solitaire, selon ses dires. Il dit à Morgan qu’il avait pratiqué uniquement en coven avec sa première femme dont il était divorcée. Elle l’avait initié au sein de sa tradition familiale, celle de la famille Melhuish d’Angleterre.
Cette rencontre a finalement conduit à une collaboration sorcière (ndlt : Craeft dans le texte original, l’Art sorcier) entre Mark et Morgan, et leur a ouvert des portes durant les quelques années qui ont suivi. Mark présenta Morgan à divers contacts néo-païens et issus de l’Art, et Morgan était disposée à devenir une porte-parole publique de leurs croyances mutuelles à la radio, aux talk-shows à la télé et la presse écrite. Cette réciprocité les introduisit auprès des adeptes/chercheurs spirituels de tous pays. Cela créa également une voie sans danger et une « maison (physique) sûre » pour tout adepte au Texas désireux de suivre une formation au sein des Mystères et, souvent, juste en quête de camaraderie. C’était une alliance de valeur pour Morgan et Mark à ce moment de leur vie et pour l’avenir.
C’est Mark qui indiqua à Morgan la référence aux « cultes Dianiques » dans le livre de Margaret Murray, The Witch Cult in Western Europe. Ceci parla aux croyances et pratiques de Morgan, et elle adopta l’appellation « Dianique » comme celle de sa tradition. Jusque là, ses croyances n’avaient jamais porté de nom. A partir de ce moment, Morgan disait simplement qu’elle était une Sorcière Dianique.
[En raison de l’engagement de Morgan envers le féminisme et son travail au sein de la Libération de la Femme, et parce que sa tradition se concentre sur la Triple Déesse en tant que Créatrice Suprême, le terme « Dianique », lorsqu’adopté par d’autres cercles dédiés, devint synonyme de cercles exclusivement féminins ou féministes politiques radicaux. Bien que les covens Dianiques McFarland épousent le féminisme en tant que concept global, l’exclusion des hommes d’un coven est uniquement le choix de prêtresses singulières. Tous les genres sont bienvenus et initiés au sein des covens Dianiques McFarland.]
A la fin de l’été 1971, Morgan commença pour la première fois à coucher par écrit ses leçons orales. Les rituels et Mystères que les Dianiques McFarland continuent de copier à partir du livre de chaque Grande Prêtresse sont ceux de Morgan. Bien que Mark ait déclaré en plusieurs occasions auprès de nombreuses personnes qu’il pratiquait des rituels similaires lorsqu’il était marié à une prêtresse de la famille Melhuish, Morgan n’a jamais été mise dans le secret de ces pratiques Melhuish et n’a jamais vu aucun rituel Melhuish écrit (ou autre rituel Dianique). Que Mark ait prêté ou non serment, il ne pouvait et n’a pas initié Morgan dans le cadre d’un coven auquel Mark n’appartenait plus. Le Covenstead of Morrigana où Mark a été le Grand Prêtre pendant plusieurs années se basait sur, et transmettait uniquement, les Mystères de Morgan McFarland.
Le premier coven « McFarland » se constituait simplement de Morgan, de sa Maiden et de Mark. Au fil des années le covenstead s’agrandit et devint trois cercles actifs distincts. Le coven initial était composé d’hommes et de femmes. Le second était exclusivement féminin. Le troisième était à l’origine constitué de gens mariés et de leurs enfants, bien que plus tard des parents célibataires l’intégrèrent. Ce troisième coven était plus flexible par rapport aux heures du jour ou de la nuit où il célébrait ses rituels lunaires et aussi quant à la manière dont il les présentait, de façon à ce que les enfants des initiés puissent prendre part au cercle aussi souvent que possible. Les trois covens, néanmoins, étaient unis les uns aux autres par les mêmes Mystères et parfois par des partages mutuels.
Dès ses débuts, le covenstead initial de Morgan avait pour but de former des femmes à devenir Grandes Prêtresses qui iraient essaimer et créer leurs propres covens. Ces nouveaux cercles étaient destinés à regrouper les gens venant du Covenstead of Morrigana et les nouveaux initiés.
Morgan croyait au final que le Covenstead of Morrigana se dissoudrait en des cercles en constante évolution qui conserveraient les Mystères mais néanmoins se diversifieraient de plus en plus dans leurs célébrations.
Mark Roberts a servi en tant que Grand Prêtre auprès de Morgan McFarland jusqu’au début de l’année 1977. Leur dernier rituel ensemble a été célébré avant l’équinoxe de printemps de cette année-là. A ce moment, Mark annonça son départ du covenstead physique et métaphysique afin de pouvoir se consacrer et avancer sur une autre voie plus personnelle.
Cette decision avait germé un an auparavant ou plus tôt encore quand Mark a commencé à créer une série de leçons par correspondance pour les aspirants, fondée sur des rencontres pré-initiatiques Dianiques appelées leçons du Bosquet et sur des idées plus axées sur la Nature basées sur les concepts de Findhorn. Mark appelé son enseignement « Footsteps on a Dianic Path. » Les partages initiaux, publiés par Mark et édités par quelques prêtresses du Covenstead of Morrigana, dont Morgan McFarland, demeurent parmi les outils de l’apprentissage néo-païen les plus fondamentaux qui existent encore. Ils ne devraient pourtant pas être considérés comme Dianiques McFarland puisque leur seul auteur est Mark Roberts.
Par conséquent, lorsque Mark décida en 1977 de dédier sa vie à sa nouvelle voie qu’il appelait « Hyperborea, » Morgan et lui mirent fin à leur relation personnelle et Craeft-néo-Païenne. Hyperborea devait être le terrain d’entrainement pour la tradition Faerie Faith. Il prétendit plus tard qu’elle lui avait été transmise par Margaret Lumley-Brown en Angleterre, en 1963. Contrairement à la tradition de la famille Melhuish, il n’avait jamais fait mention de l’existence de cette tradition.
Morgan prit sa retraite au solstice d’été 1979, remettant le dernier Coven of Morrigana existant à l’une des Grandes Prêtresses qu’elle avait initiées. Plus tard, lorsque toutes les femmes de ce coven essaimèrent, Morgan devint une solitaire. Toujours solitaire, elle sert à présent en tant que conseillère auprès du concile McFarland Dianic et en tant que matriarche.
Equinoxe de printemps, 2000.